본 논문은 미국의 건축가 프랑크 게리(Frank Gehry)의 1987년부터의 작품의 조형 언어의 변화에 대한 분석 연구이다. 그의 조형 언어는 ‘매스’(volume)에서 ‘면’(surface)으로, 직선에서 곡선으로 점진적으로 변화하고 있음을 알 수 있다. 연대기적인 분석이 아닌 통시적 분석 방법으로, 이 변화 과정이 독립적인 ‘면’(l'autonomie de la surface)과 ‘폴드’(pli)라는 하나의 뚜렷한 논리를 향한 진화임을 알 수 있다.
작가는 폴드를 통해 서로 다른 요소들을 융합하고 개체로 분리되어진 요소들을 하나의 ‘흐름’으로 합쳐 나간다. 바로 형태의 파편화(fragmentation)에서 융합으로의 승화가 최근 20여 년간의 프랭크 게리의 작품 언어를 특징지어주는 것이다.
이러한 변천 과정을 설명하기 위해 필자는, 한편으로는 프랑크 게리의 조형 언어를 특징짓는 파편화, 매스의 곡선화, 표피를 분리시키기, 폴드, 구김과 같은 요소들을 분석하였으며,
또 한편으로는 작가의 작품세계에 영향을 주었음직한 다양한 예술가들의 목록을 기록하였다.
순수 미술이 직. 간접적으로 그의 작업세계에 영향을 끼쳤다. 예술은 게리가 그 동안 답습한 여러 규범으로부터 일탈할 수 있게 해주었고, 자유로운 사고를 가능케 해주었다.
필자는 프랭크 게리의 조형 언어의 변천 과정과 게리에게 영향을 끼친 예술가들을 분석하기 위해 다음과 같은 6가지 형태의 카테고리에 따라 분석했다:
1. 파편화, 비상식적 병치, 서로 상이한 재료와 형태들의 요소들을 조합함:
프랑크 게리는 전체 작품을 작은 부분으로 파편화시키고 그것들을 병치시킨다. 즉 그 건물의 상이한 작은 부분들을 조합했는데, 그것은 그 부분의 특성을 더욱 강하게 전달하기 위한 것이다.
이 방법은 미켈란젤로(Michel-Ange)가 바위덩어리에 조각을 한 방법, 앙리 로랑스(Henri Laurens)와 존 챔벌린(John Chamberlain)이 여러 재료를 모아 작품을 만든 방법, 그리고 조르조 모란디(Giorgio Morandi)와 토니 크랙(Tony Cragg)의 아상블라쥬 작업방법을 연상시킨다.
2. 곡선의 도입: 프랭크 게리는 표면과 천장을 동시에 구부러트리는 방법으로 건축물을 만든다. 곡선의 도입이다. 그는 곡선의 개체들을 이중으로 해서 복잡한 면을 가진 기하학적인 건축물을 선보인다.
이 방법은 자크 립시츠(Jacques Lipchitz)와 콘스탄틴 브랑쿠시(Constantin Brancusi)가 매스를 곡선화 시킨 것과 관련이 있다. 또한 클래스 올덴버그(Claes Oldenburg)가 일상생활에 쓰이는 오브제를 커다란 크기로 재현한 방법과 관련이 있다.
3. 독립적인 커다란 표면들:
프랭크 게리는 독립적인 곡선의 벽들로부터 건축물을 구성한다. 이러므로 작가는 건물의 면이 독립적인 건축 작품들을 만든다. 이 방법은 리차드 세라 [Richard Serra]가 공간속에 굽은 형태의 표면을 가진 커다란 작품을 설치하는 방법 그리고 윌리엄 반 드벨트(Willem Van der Velde)가 하늘 배경에 커다란 돛이 있는 배를 그린 방법과 관련이 있다.
4. 접히고 구겨진 표면: 프랭크 게리는 정형적인 건물에 접히고 구겨진 거대한 오브제를 도입한다. 이 거대한 오브제는 건물로부터 독립적으로 존재하고, 건물을 완전히 둘러싼다.
이 방법은 잔 로렌초 베르니니(Gian Lorenzo Bernini)가 주름이 많은 옷을 입은 작품을 만든 것과 델파이의 마차 전사 (l’Aurige de Delphes)의 옷에 있는 주름과 관련이 있다.
또한 클라우스 슬루테어(Claus Sluter)와 로버트 모리스(Robert Morris)가 조각한 주름진 옷들과 관련이 있다.
5. 건축물에 접히고 또 접힌 곡선들의 수가 급격히 증가함: 작가는 건물을 변형시키기 위해 접힌 곡선들을 사용한다. 이 곡선의 증가는 직선으로 된 공간에 반대한다. 이 방법은 조지 오어(George E. Ohr)가 자신의 도자기의 표면을 구기는 것과 제롬 보쉬 (Jérôme Bosch)가 주름진 옷을 입고 있는 사람들을 그린 것과 관련이 있다.
6. 공중에 떠 잇는 듯한 오브제로서의 곡선: 프랭크 게리는 건물에서 완전히 거리가 떨어져 있는, 마치 공중에 떠있는 듯한 곡선의 면을 만든다. 요하네스베르메르 (Johannes Vermeer)가 그림에서 주인공에게 녹말풀을 먹인 긴 주름이 있는 옷을 입힌 것과, 이세이 미야케 (Issey Miyake)가 폴리에스테르로 된 옷에 지워지지 않는 곧은 주름을 넣은 것과 관련이 있다.
건축사 게리는 미디어와 상업적 효과를 위해, 재정적, 기술적, 프로그램의 제약을 넘어서서 그 이상을 전달하고, 건축에 있어서 눈에 띄게 장관인 폴드(plis)라는 조형 언어를 찾아내었다. 게리에게 있어 폴드(plis)는 휘어지지 않는 딱딱한 재료 안에 숨겨진 움직임(mouvement) 뿐 아니라, 감정을 표현하는 매개체인 것이다.
신체에 있어 피부가 심리적 상태에 영향을 받으면서 생리학적으로 중요한 역할을 담당한다면, 게리의 건축물에 있어 표피(la peau)는 안과 밖, 방문객과 건물, 빛과 그림자, 오목함과 볼록함, 시각과 촉각, 바라봄과 쓰다듬기 사이의 상호작용의 인터페이스(interface)이다. 이처럼 게리는 접고, 표면이 구겨진 표피를 이용해 작업함으로써 건축물의 섬세함, 비 견고성, 비 영구성을 드러내고 있다.
철학에서, 폴드(plis)는 여러 차원을 내포한다. 폴드는 본원의 상태이며 물질과 환경의 상호작용을 통해 진화하는 진행 과정이다. 들뢰즈(G. Deleuze)에 의하면 폴드(plis)는 단순히 모양을 만드는 것과 단순한 방법이상으로, 인간 실존의 질문을 내포하고 있다. 게리에게 있어 접기(pliage)라는 행위는 복잡한 사고를 무한히 변화하는 모습으로 표현할 수 있는 방식이요, 형이상학적인 세계를 형이학적인 물질체(物質體)로 나타내는 수단인 것이다.
L’actualité architecturale française offre l’opportunité de revenir sur a démarche de l’architecte américain Frank Gehry grâce à la fin de la réalisation à Paris en 2014 de la Fondation Louis Vuitton1).
L’analyse de son œuvre depuis 1987 révèle un changement progressif de son langage architectural du volumique au surfacique et du rectiligne au curviligne. Non linéaire et non chronologique2), cette évolution tend tout de même vers une logique, celle de l’autonomie de la surface au détriment du volume et d’un langage des plis dans son architecture. Dans
Plier permet de fusionner5) des éléments hétérogènes et de les dissoudre dans une entité plus fluide. Et c’est ce jeu entre fragmentation et fusion qui caractérise le travail de Frank Gehry durant plus de deux décennies.
Pour décrire cette évolution, cette étude fait apparaître, d’une part les caractéristiques de son langage architectural qui fragmente et courbe les volumes, isole les parois, plie, plisse, froisse et fait s’envoler les surfaces.
Cette étude répertorie d’autre part les différentes références artistiques qui ont pu influencer la démarche de l’architecte. Car son architecture se nourrit principalement de l’art. D. Leclerc l’explique ainsi :
Six catégories formelles servent à analyser les transformations de son vocabulaire architectural et les références artistiques qui l’ont influencé :
1. L’architecte fragmente la totalité du programme en petites unités et les juxtapose dans une finition et des formes différentes. Ou alors il enchevêtre des fragments d’une partie du programme pour les différencier du reste. Cette démarche est mise en relation avec celle de Michel-Ange qui sculpte dans la masse, celles d’Henri Laurens et John Chamberlain qui enchâssent les éléments, celles de Giorgio Morandi et Tony Cragg qui juxtaposent les volumes.
2. Frank Gehry façonne le programme à l’aide de grands volumes dont il courbe simultanément les parois et la toiture. Il inaugure une géométrie complexe faite de surfaces à doubles courbures. Dans ce cas précis, cette démarche renvoie à celles de Jacques Lipchitz et Constantin Brancusi qui courbent les volumes et celle de Claes Oldenburg qui copie en grande taille des objets du quotidien.
3. L’architecte conçoit le projet à partir de grands murs courbes indépendants. Il élabore des détails qui donnent de l’autonomie plastique à la surface au détriment du volume. Ainsi Richard Serra installe de grandes parois courbes dans l’espace et Willem Van der Velde qui représente des bateaux à grandes voiles sur fond de ciel.
4. Frank Gehry habille la totalité du programme de la construction d’une enveloppe pliée et plissée, qui devient une entité plastique autonome, catégorie formelle typique de son langage architectural. Une démarche similaire avec l'oeuvre de Gian Lorenzo Bernini qui multiplie les plis de natures différentes dans ses sculptures que l’on trouve déjà dans l’Aurige de Delphes, et celles de Claus Sluter et Robert Morris quand ils mettent en scène le tombé de l’étoffe.
5. L’architecte utilise plusieurs membranes pliées et repliées pour couvrir, entourer et déformer les grands volumes du programme. Cette prolifération des surfaces curvilignes s’oppose aux volumes rectilignes. À la façon de George E. Ohr qui froisse les membranes d’argile de ses pots et celle de Jérôme Bosch qui multiplie les types de plis dans les vêtements de ses personnages.
6. Frank Gehry emploie des surfaces courbes autonomes qui flottent librement dans l’espace à distance des volumes. Inspiré par Johannes Vermeer qui dans un tableau coiffe son personnage d’une cape amidonnée aux plis droits et du styliste Issey Miyake qui fige les plis droits dans le polyester des vêtements tout en permettant le mouvement des corps.
1)Il s’agit de sa troisième construction en France après le Centre récréatif d’Eurodisney en 1992 et le Centre Américain en 1994. 2)D’une part certains projets non réalisés anticipent parfois de plusieurs années les réalisations complexes et coûteuses de l’architecte. D’autre part certains projets mettent de nombreuses années a se réaliser et ne reflètent plus les évolutions en cours de son langage. Enfin la spécificité de chaque projet : programme, site, budget est contradictoire avec un développement linéaire de son langage architectural. 3)Architectural Design, Folding in Architecture, éd. Révisée, 2004, pp.82-89, éd. originale Architectural Design n°102, 1993. 4)LYNN Greg, “The folded, the pliant and the supple”, dans Folds, Bodies & Blobs – Collected Esaays, Bruxelles, La Lettre Volée, 1998, p.11, également dans revue Architectural Design, Folding in Architecture, éd. Révisée, 2004, éd. originale Architectural Design n°102, 1993, p.24. 5)Ce processus de fusion se voit en général dans ses maquettes préliminaires qui sont au départ une addition de volumes parallélépipédiques en bois représentant les parties du programme qu’il relie et emballe ensuite avec des feuilles de papier argenté. 6)LECLERC David, « Un moment de vérité » in L’Architecture d’Aujourd’hui N.286 Avril 1993, p.79.
2. Fragments, juxtapositions et enchevetrements
L’architecte fragmente la totalité du programme en petites unités et les juxtapose à l’aide volumes différents avec des finitions différentes (matériaux et couleurs). Ou il enchevêtre des fragments d’une partie du programme pour les différencier du reste.
Le Musée Frederick Weisman à Minneapolis (1990-93) présente une image de volumes enchâssés. Face au Mississippi, la façade ressemble à une sculpture cubiste. La peau fait l’objet d’un travail subtil de l’architecte. D. Leclerc écrit :
La référence au textile se lit déjà dans le choix d’un habillage très fin et souple en acier inoxydable. Ces plis de la façade semblent émerger d’un grand bloc, celui que forme le bâtiment. Frank Gehry travaille ses bâtiments par l’extérieur comme un sculpteur. Il taille dans les masses, il ajoute, il encastre, il déforme et plie. Il déclare :
Pour le siège social de Vitra à Bâle (1988-94), l’architecte divise le programme en deux catégories, les espaces banalisés (plateaux de bureaux) et les espaces particuliers (salles de réunions et espaces collectifs). Cette distinction lui permet de mettre en scène un amoncellement de volumes courbes avec en arrière-plan le volume linéaire des bureaux. L’agrégation des volumes se distingue par un habillage par des lés verticaux de zinc. Pour la première fois la surface se retourne de manière continue sur plusieurs faces d’un même volume en arrondissant les angles.
Tout en courbant les surfaces, Gehry enchâsse les éléments. Ce type de composition est identique à la sculpture cubiste
Cette impression se confirme avec la façade ouest, fragmentée, du Musée Frederick Weisman à Minneapolis. Pour en parler, Frank Gehry prend comme référence les statues inachevées de Michel-Ange exposées à la Galerie de l'Académie de Florence :
Ce jeu complexe de volumes courbes qui émergent d’un grand monolithe orthogonal semble résulter d’un processus d’excavation de la matière qui rappelle le processus du sculpteur Michel-Ange.
L’architecte a affirmé à maintes reprises que la peinture de Giorgio Morandi a été une grande révélation pour lui. Il reprend comme mode de composition pour ses bâtiments la juxtaposition d’objets courbes : bouteilles, cruches, carafes, entonnoirs juxtaposés sur une table. Pour la Maison d’hôtes Winton à Wayzata (1987) :
La Maison Smith (1981), la Maison Schnabel (1989) et les Laboratoires de l’université de l’Iowa présentent aussi cette juxtaposition de volumes différenciés par leur forme et leur finition. L’attrait pour la peinture de G. Morandi vient de la représentation par le peintre de volumes dont les surfaces courbes changent sous l’effet de la lumière.
Frank Gehry connaît le travail de l’artiste britannique Tony Cragg qui installe côte à côte des objets au sol selon des logiques de tailles ou de couleurs, car ses maquettes ressemblent aux travaux de cet artiste. L’installation
7)Ibid., LECLERC David, « Un moment de vérité », p.82. 8)GEHRY Frank, POLO Alejandro Zaera, “Conversations” avec Alejandro Zaera Polo, dans El Croquis n°45+74-75+117, 1987-2003 Frank Gehry, Madrid, El Croquis Editorial, 2006, p.29. 9)En 1958, il a commencé à intégrer la ferraille des voitures dans son travail, et à partir de 1959 sur il s'est concentré sur la sculpture entièrement construite de pièces automobiles écrasées soudés ensemble. 10)ISENBERG Barbara, GERHY Frank, Conversation with Frank Gehry, New York, 2009, Alfred A. Knopf, p.88. 11)LECLERC David, « La vie comme elle vient, conversation avec Frank Gehry », L’Architecture d’Aujourd’hui, Avril 1993, n.286, Paris, p.82.
Frank Gehry façonne le programme à l’aide de grands volumes dont il courbe simultanément les parois et la toiture. Il inaugure une géométrie complexe faite de surfaces à double courbure.
Un grand volume à double courbure apparaît dans les laboratoires de l’université de l’Iowa (1987-92). Long de 45m et couvert de feuilles de cuivre, il atténue l’impact du corps principal du bâtiment, haut et linéaire.
Pour le projet d’Eurodisney (1988-92), la majorité du programme est couverte par deux grandes toitures courbes. On retrouve ces grandes couvertures courbes dans le Centre de communication et de technologie EMR de Bad Oeynhausen (1992-95).
Le Musée Guggenheim à Bilbao (1991-97) présente un foisonnement de volumes fluides. Trois d’entre eux rappellent des proues de bateaux en hommage au passé de la ville. Ce projet marque un aboutissement dans l’agencement dynamique de formes courbes. L’échelle des volumes étant importante, l’architecte ressent le besoin de stratifier ponctuellement l’enveloppe et d’effectuer des coupures qui autorisent des mouvements différents pour la face d’un même volume.
En choisissant de courber les volumes, Frank Gehry semble avoir fait siens les propos de l’artiste Jacques Lipchitz sur les effets de la courbure : « Dans une sculpture doucement arrondie ou courbe, la lumière glisse sur la surface et diminue, parfois jusqu'à détruire, le sentiment du volume, le sens de la troisième dimension. 12)» Courber des grands volumes semble venir de sa recherche lorsqu’il déclare en 1995 :
Ainsi des œuvres, entre sculpture et architecture ayant la forme d’objets ou d’animaux, lui offrent l’opportunité de déformer librement la paroi14). Il admire l’artiste Claes Oldenburg, avec lequel il a collaboré. Il est connu pour ses sculptures d’objets du quotidien réalisés à très grandes tailles. Cette mutation entre sculpture et architecture recherchée par l’architecte, se traduit par une confrontation juxtaposant l’un et l’autre comme dans le restaurant
L’architecte conserve une photographie de l’atelier du sculpteur Constantin Brancusi. Cette image, qui montre plusieurs
12)SCHNECKENBURGER Manfred, « Abstraction et décalage cubiste » in L’Art au XXe siècle, collectif, Cologne, Taschen, 2005, p.441. 13)Op. cit. ZAERA POLO Alejandro, GEHRY Frank, “Conversations” avec Alejandro Zaera Polo, p.17. 14)Une paire de jumelles géante en guise de facade-sculpture du siège de l’agence Chiat/Day/Mojo à Venice en Californie (1975-91). 15)Ce projet est un prototype pour expérimenter la double courbure en utilisant le logiciel CATIA issu de l’entreprise aéronautique française Dassault Systèmes et adapté par l’agence Gehry. Cet outil permet à l’architecte d’explorer un univers formel très complexe tout en gardant une maîtrise mathématique des surfaces gauches. Son travail gagne donc en précision tout en augmentant sa liberté formelle et sculpturale. De près, on peut apercevoir que la sculpture est tressée à l’aide de lanières métalliques. 16)Son intérêt pour l’architecture d’Antoni Gaudi, précurseur des paraboloïdes hyperboliques, l’a sans doute influencé à vriller les surfaces. « C'est quand j'ai vu le travail de [l'architecte espagnol Antonio] Gaudi. Je suis allé voir tous les bâtiments de Gaudi », op. cit. ISENBERG Barbara, GERHY Frank, p.44.
4. Grandes parois independantes
L’architecte conçoit le projet à partir de grands murs courbes indépendants et non de volumes. Il élabore des détails qui donnent de l’autonomie plastique à la surface au détriment du volume.
Apparaît dans le projet du Musée des Enfants à Boston (1991) la paroi courbe autonome, paroi qui ne fabrique plus un volume mais ménage des intervalles ouverts vers l’extérieur. Deux grandes parois galbées en forme de vague, fabriquent le hall d’entrée. L’accès se fait dans l’entre-deux transparent créé par les deux parois. À leurs sommets, les parois ne se touchent pas mais préservent un interstice pour l’entrée de la lumière naturelle.
Le Concert Hall Walt Disney à Los Angeles (1987-2003) présente un jaillissement de grandes parois recourbées délimitant le lobby. Installées sur un socle orthogonal, les parois forment un écrin fluide, un intervalle entre le volume rigide de l’auditorium et l’extérieur. L’édifice conserve une image ambiguë qui oscille entre volumes et surfaces courbes. L’entrée principale se fait dans l’écartement de ces grandes parois. La lumière pénètre à l’intérieur, entre, par-dessous et par-dessus, ainsi que par le toit. Les épaisseurs des grandes parois, lorsqu’elles apparaissent restent importantes, plus ou moins deux mètres car la structure est habillée par l’enveloppe en titane.
Le grand hall circulaire du Musée de la Tolérance à Jérusalem (2000-14) appelé le nautilus est composé également de grandes parois courbes rayonnantes, pliées à mi-hauteur et espacées de manière régulière pour ménager l’accessibilité et jouer avec la lumière naturelle.
La similitude entre le langage architectural de F. Gehry et les longues parois courbes du sculpteur Richard Serra est évidente. Il le cite maintes fois :
Dans les installations monumentales de Serra en espace urbain telle que Clara-Clara à Paris (1983), le spectateur en longeant ces longues parois concaves et convexes en acier corten, est invité à faire « l’expérience de la construction plastique », une expérience phénoménologique et spatiale quasi architecturale. Il déclare :
Gehry cherche à reproduire les perceptions et sensations changeantes qui se produisent lors d’un déplacement entre ces grandes concavités et convexités en métal brillant. Toujours à propos du Hall de concert Disney, Gehry déclare :
Et la voile de bateau lui sert de modèle déclare-t-il déjà à propos du Musée d’Art Frederick R. Weisman :
Cette métaphore textile devient evidente à partir du Hall de Concert Disney. En employant des surfaces à double courbure qui s’apparentent à des voiles gonflées par le vent, l’architecte tente de créer un mouvement, un souffle qui anime l’architecture si inerte.
17)Op. cit. LECLERC David, « La vie comme elle vient, conversation avec Frank Gehry », L’Architecture d’Aujourd’hui, Avril 1993, n.286, Paris, p.88. 18)SCHNECKENBURGER Manfred, « post Minimal : intensification des sens, expansion de l’art » in L’Art au XXe siècle, collectif, Cologne, Taschen, 2005, pp.542-543. 19)Op. cit. LECLERC David, « La vie comme elle vient, conversation avec Frank Gehry », p.88. 20)Op. cit. ISENBERG Barbara,GERHY Frank, p.162. 21)Op. cit. ISENBERG Barbara,GERHY Frank, p.94.
5. Enveloppes pliees ou plissees
Frank Gehry habille la totalité du programme d’une enveloppe pliée et plissée, qui devient une entité plastique autonome, catégorie formelle typique du langage architectural de Gehry.
La couverture de la résidence Lewis à Cleveland (1989-95) non réalisée, présente une topographie très pliée et plissée dont une extrémité adopte la physionomie d’un crâne de cheval22). De véritables plis, à l’aide d’un velours rouge enduit de cire, font leur apparition dans une maquette d’étude. Il ne s’agit plus de volumes mais bien de surfaces autonomes, de peaux maintes fois pliées et recourbées. Ce projet constitue une étape importante dans sa production où l’enveloppe gagne en expression et acquiert une autonomie plastique. L’associé K. Mendenhall confirme l’importance de cette étape dans son travail :
L’enveloppe pliée et repliée atteint un maximum de souplesse et de finesse avec l’
L’
On sait que c’est le velours, étoffe souple employée dans la maquette de la résidence Lewis à Cleveland qui a été le déclencheur d’un véritable langage des plis chez F. Gehry. Difficile de ne pas se souvenir de l’installation
F. Gehry, en employant une étoffe pour sa maquette, a sans doute cherché à utiliser les effets du hasard comme processus heuristique.
L’architecte affirme à Sydney Pollack avoir été ému jusqu’aux larmes en voyant l’
L’architecte tire de l’art l’idée que les plis peuvent exprimer des sentiments, qu’ils constituent un langage visuel lorsqu’il déclare :
Les plis représentent un champ d’expérimentation, un langage expressif que les artistes de la Renaissance et du Baroque ont largement employé. Gehry y voit donc un moyen d’explorer un nouveau territoire formel de l’architecture, une manière d’exprimer ses sentiments.
Les raisons de l’emploi des plis chez F. Gehry sont multiples. L’historien Irving Lavin explique qu’un passage à Dijon (France) en 1993 lui a permis de découvrir le travail du sculpteur Claus Sluter et affirme que :
Ce que confirme F. Gehry30). L’agenouilloir, pièce d’étoffe sur laquelle on s’agenouille, sert dans la sculpture de Sluter à se voiler le visage. Le visage des pleureurs ainsi caché donne une dimension dramatique à la sculpture du tombeau du roi Philippe le Hardi. Le sculpteur traduit ainsi la douleur et le mystère de la mort. L’architecte imprégné par ce souvenir fait évoluer son langage architectural. Dans l’architecture de F. Gehry, le tombé de ses enveloppes légères et plissées s’oppose à la lourdeur et la rigidité du mur traditionnel. L’architecte essaie de recréer ce mystère et cette émotion dans son architecture,
22)Ce crâne composé de trois feuilles recourbées a été conçu préalablement pour la résidence Lewis. 23)LAVIN Irving, « Frank Gehry and the post-modern drapery fold, Going for Baroque », dans El Croquis n°117, 1996-2003 Frank Gehry, Madrid, El Croquis Editorial, 2003, p.43. 24)Op. cit. ZAERA POLO Alejandro, GEHRY Frank, “Conversations” avec Alejandro Zaera Polo, p. 29-30. 25)COELLIER Sylvie, « Sculpture, sculptures, La résistance du corps et de la matière », in Sculpture de Derain à Séchas, collectif, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2003, p.27. 26)POLLACK Sydney, Sketches of Frank Gehry, film documentaire de 1h25mn, 2006. 27)Certaines visions que nous relate Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) dans son autobiographie, considérées comme des expériences religieuses ou spirituelles, s’avèrent d’une grande intensité émotionnelle. Les descriptions correspondent à des expériences d’une grande sensualité, parfois à des phénomènes psychologiques extrêmes jusqu’à une perte partielle de la conscience, à un état de défaillance, ou à une forme heureuse et jouissive d’abandon malgré certains détails évoquant la souffrance. Au-delà du caractère érotique ou mortifère de cette extase, Le Bernin réussit à restituer cette extase par la suspension. Il taille dans le marbre une toile de bure flottant sur un nuage. 28)COOPERMAN Jackie “A sit-down with the artist of architecture”, interview dans The Wall Street Journal, du 2 avril 2011, http://online.wsj.com/article 29)Op. cit. LAVIN Irving, p.43. 30)« Il y a quelques années, lorsque [l'historien de l'art] Irving Lavin m’a présenté Claus Sluter [sculpteur flamand du XIVe siècle], je suis devenu gaga. », op. cit. ISENBERG Barbara, GERHY Frank, p.162.
6. Proliferation des membranes pliees et repliees
L’architecte multiplie les surfaces pliées et repliées pour couvrir, entourer et déformer les grands volumes du programme. Cette prolifération des surfaces curvilignes s’oppose aux volumes rectilignes.
L’Ecole de management Weatherhead à Cleveland (1997-2002) est le premier exemple architectural construit avec deux catégories d’éléments, d’une part les volumes rectilignes en briques rouges englobant la majorité du programme, d’autre part les surfaces curvilignes en acier inoxydable formant à la fois couverture et clôture. Ces lés se répandent en toiture et se propagent en façades dans des circonvolutions imprévisibles. Des creux, des failles, des canyons inondés de lumière zénithale apparaissent entre les masses du programme et entre la peau courbe et les volumes intérieurs.
Dans le Centre d’Arts du spectacle à Annandale-on-Hudson (1997-2003) les arêtes vives représentent le degré ultime de légèreté des surfaces courbées. L’absence d’épaisseur visible en bordure des surfaces en acier inoxydable donne un sentiment dynamique, aérien et irréel à l’édifice. Les arêtes vives et les larges débords des surfaces en inox donnent un degré ultime de légèreté aux surfaces pliées et annoncent les voiles aériens et flottants.
Pour la Clinique Cleveland Lou Ruvo, centre de soins pour le cerveau à Las Vegas (2005-09), F. Gehry fabrique une peau percée d’ouvertures régulières (comme une grille) pour la retourner dans toutes les directions. Celle-ci devient tantôt façade avec fenêtres, tantôt double peau débordant les masses rectilignes du programme. Ce froissement de la peau donne au bâtiment l’expression chaotique d’une ruine. Germano Celant écrit :
Et justement F. Gehry s’inscrit dans cette continuité artistique des plis en disant :
L’architecte se situe dans l’histoire de l’art et non de l’architecture. Il fait de la peau de ses édifices un vêtement pliable à l’infini qui leur donne une apparence imprévisible, une expression forte et provoque un choc visuel.
Un potier américain, George E. Ohr (1857-1918) aurait contribué à l’inclination de l’architecte pour les surfaces malléables. Car il plie, replie, tord, pince, vrille, froisse l’argile pour donner à ses œuvres une âme singulière et unique. Bruce Watson écrit :
Cette transmutation du rigide en flexible s’opère également dans le travail de F. Gehry qui ayant longuement étudié l’œuvre de G. E. Ohr, en aurait été imprégné même avant son projet du Musée d’Art Ohr-O’Keefe34) à Biloxi (1999-2012). La dimension transgressive de l’artiste peut se lire aussi dans le travail de l’architecte. Car en multipliant les surfaces pliées et froissées il remet en cause les limites entre architecture et sculpture. Le froissement des plis ne répond pas à une logique architecturale traditionnelle, celle du site ou du programme mais à une logique autonome.
Dans le film documentaire
Dans la maquette de 2009, la différence de nature des plis des plus souples aux plus rigides fait aussi écho au tableau de J. Bosch : la cafétéria bleue aux boursouflures équivalentes à la manche bleue du berger et le grand hall tournant similaire au turban vert entourant la tête du personnage de gauche.
31)CELANT Germano, Frank O. Gehry since 1997, Milano, 2009, Skira, p.25. 32)MACCASH Doug, “Architect Frank Gehry discusses the Ohr-O'Keefe Museum in Biloxi” dans The Times-Picayune NOLA.com, magazine en ligne du 5 novembre 2010, http://www.nola.com/arts/index.ssf/2010/11/architect_frank_gehry_discusse.html 33)WATSON Bruce, “The Mad Potter of Biloxi”, dans Smithsonian magazine, février 2004, p.3, www.Smithsonian.com 34)MACCASH Doug, “Architect Frank Gehry discusses the Ohr-O'Keefe Museum in Biloxi” dans The Times-Picayune NOLA.com, magazine en ligne du 5 novembre 2010, http://www.nola.com/arts/index.ssf/2010/11/architect_frank_gehry_discusse.html, Doug MacCash : « Gehry a dit qu'il connaissait la poterie d’Ohr avant que l'équipe de planification de Robert Tannen et Jeanne Nathan lui ont présenté les développeurs du musée et lui ont remis un pot de Ohr pour s'inspirer. » 35)Op. cit. POLLACK Sydney, Sketches of Frank Gehry, film documentaire de 1h25mn, 2006.
7. Surfaces aeriennes et flottantes
Frank Gehry emploie des surfaces autonomes qui flottent librement dans l’espace à distance des volumes.
La première voile qui flotte apparaît sur la façade nord du Musée Frederick R. Weisman (1990-1993) de Minneapolis. Lors de son extension (en 2011), celle-ci se voit complétée d’une troisième voile suspendue. Leurs fonctions sont multiples. En tant qu’auvents, elles peuvent abriter. Elles captent et renvoient aussi la lumière du soleil vers la façade nord. Enfin elles changent l’image du bâtiment en créant un carrossage aérien et courbe qui masque la massivité et la rigidité des volumes du musée.
Le Pavillon Jay Pritzker à Chicago (1999-2004) qui abrite une scène pour orchestre devant 4000 places assises en plein air, apparaît comme une sculpture géante faite de feuilles recourbées en acier inoxydable. Les bandes d’acier inoxydable en suspension semblent sur le point de s’envoler. Grâce à ces voiles flottantes, le bâtiment acquiert une expression dynamique et échevelée, très éloignée du volume réel du programme.
Pour l’Hôtel Marques de Riscal à Elciego (1998-2006), l’architecte répand une cascade de rubans de métal sans épaisseur qui cachent les volumes des chambres et créent des cavités ombrageuses aux abords du bâtiment et des terrasses. Ces lés en suspension, soutenus par une structure légère, ondulent et se replient sur eux-mêmes dans un mouvement fluide et aérien. La finesse extrême des arêtes des lés de titane or, rose et en acier inoxydable renforce encore cet effet dynamique. Il ne s’agit plus d’une architecture de volumes mais bien de surfaces ondulantes, de bandes fluides, dont le drapé et le tombé génèrent dans les plis et replis des ombres, des creux, une profondeur accueillante et rafraîchissante dans cette région très ensoleillée.
Pour la rénovation du Musée d’art d’Ontario à Toronto (2000-08), l’architecte change l’image du bâtiment à l’aide d’une longue peau vitrée. Les extrémités de cette longue façade courbe se terminent en suspension mais n’ont pas la légèreté des feuilles en acier qui cachent la structure.
Pour la Fondation Louis Vuitton à Paris (2005-14), l’architecte systématise l’emploi des surfaces flottantes. Une série d’écrans de verre courbe forment un écrin ouvert, semi-transparent et aérien autour des volumes fermés du musée. Le façonnage révolutionnaire du verre permet de courber au millimètre près et de façon différenciée chacun des 3600 panneaux des douze voiles de verre qui donnent son allure à l’ouvrage. La transparence de ces écailles de verre autour des masses fermées donne une apparence changeante et ambiguë de légèreté à l’édifice et ménage un espace intermédiaire de promenade entre intérieur et extérieur comme l’architecture de verre et de jardin de la fin du XIXe.
Si les voiles aériennes renvoient à celles des bateaux, évoqués précédemment, les voiles à plis droits ont une double origine chez F. Gehry. L’architecte prétend avoir été influencé par un tableau de Johannes Vermeer,
Cet édifice présente une toiture qui s’apparente à une carte routière dépliée. Ce travail sur les plis droits est aussi manifeste au Musée de la Biodiversité à Panama (2000-14). Si les doubles pentes de toitures ont pour fonction en architecture de faciliter l’évacuation de l’eau et de la neige, l’architecte les multiplie pour donner à l’aide des arêtes des directions variées. Ce foisonnement de plis droits crée des effets de mouvements et une sensation d’envol.
La métaphore du textile est omniprésente chez l’architecte qui cite également Issey Miyake :
Le Pavillon Pritzker de Chicago (1999-2004) à la particularité de présenter des surfaces d’acier à la fois courbes et à plis droits. Ces bandes de métal semblent effectivement s’envoler comme les vêtements aux plis droits commercialisés par le créateur japonais Issey Miyake. Il explique que son invention des plis droits38) permanents, sa marque de fabrique, s’est faite lors des costumes pour les danseurs de la compagnie de William Forsythe. Avec les surfaces aériennes, comme des vêtements de danseurs en action, Frank Gehry atteint un niveau de liberté et de fragilité extrême et contredit la caractéristique générale de l’architecture, sa massivité.
36)Op. cit. ISENBERG Barbara, GERHY Frank, p.144. 37)Op. cit. ISENBERG Barbara, GERHY Frank, p.146. 38)KITAMURA Midori, MIYAKE Issey, Pleats Please, Cologne, Taschen, 2012, « Réalisés à partir de pièces uniques dans un tissus 100 % polyester, les vêtements Pleat Pleats sont innovants du fait de leur conception : ils sont d'abord taillés et cousus deux fois et demi plus large que leur taille finale [⋯] les pièces individuelles sont disposées à la main dans une presse chauffante, et placées entre deux feuilles de papier. Les vêtements en sortent ensuite marqués de plis permanents. Ce procédé industriel permet de créer en même temps la texture et la forme. Le plissage vertical, horizontal et en zigzag est utilisé pour créer des effets et des formes variés. »
Dans le contexte californien de la profusion d’une architecture commerciale, la peau souvent plus économique qu’un mur en dur, briques ou béton, représente l’envers de la pérennité en architecture. Cette peau peut être remplacée au gré des besoins du client et de la destination aléatoire du bâtiment comme un habit qui protège le corps et que l’on change. F. Gerhy transforme cette fragilité, cette imprévisibilité de l’architecture faite par la seule apparence de sa peau et non par sa structure pérenne, en une opportunité pour complexifier, dépasser le programme et le volume strictement nécessaire. Alejandro Zaera Polo écrit :
L’architecte s’approprie cette dimension commerciale de l’architecture pour lui donner une dimension médiatique. Les plis et replis d’une toile de zinc, d’aluminium ou de titane fabriquent une nouvelle image en transfigurant la banalité d’un programme d’hôtel, d’usine ou de siège social. Dépasser le vocabulaire anonyme de la plus grande masse des constructions n’est pas seulement valorisant pour le client et son ouvrage mais également pour l’architecte qui passe du rang de professionnel inconnu à celui de créateur dont la griffe devient identifiable et reconnaissable par un public très large. Une stratégie médiatique pousse l’architecte à communiquer par-delà les contraintes programmatiques, économiques et techniques, et puiser dans un univers formel, celui des plis en architecture. Les mots que trouve Christine Buci-Glucksmann40) pour l’œuvre d’Antoni Gaudi peuvent s’appliquer à celle de Frank Gehry, car ils résument les deux caractéristiques du langage des plis de l’architecte, « l’effet-surface » avec la finition délicate le plus souvent en titane ou acier inoxydable et « l’effet vague » avec ses ondulations imprévisibles.
8.2 Facteurs psychiques et physiologiques
Ce débordement de la matière, cette profusion d’inflexions devient le développement d’un langage. Irving Lavin écrit à propos de F. Gehry :
Les plis et replis de l’enveloppe architecturale chez F. Gehry renvoient au textile associé non seulement aux premières sensations de l’existence mais également à la douceur de la peau maternelle comme expérience primordiale et originelle. Cette dimension psychologique rappelle le concept de « moi-peau » du psychanalyste Didier Anzieu développé dans son ouvrage42) du même nom. D. Anzieu part de l'hypothèse que le nouveau-né a besoin pour vivre de se baser sur les sensations qu'il éprouve avec sa peau. Les interactions du bébé avec sa mère, par leur peaux respectives l’aideraient à se construire mentalement et psychologiquement et à se constituer son Moi, déjà in-utero et surtout après la naissance. D. Anzieu décrit ainsi cette expérience :
La peau des édifices de F. Gehry redéfinit l’enveloppe en une interface d’interactions entre un dedans et un dehors, entre visiteur et bâtiment, entre lumières et ombres, entre concavité et convexité, entre optique et haptique, entre regard et caresse. Les plis et replis caractérisent la peau du corps. Ils dénotent d’une extrême souplesse de celle-ci et correspondent à des zones d’une sensibilité accrue. L’architecture de plis, en se dévoilant ainsi dans toute sa finesse, révèle toute sa fragilité et sa non-permanence.
En évoquant ses rencontres avec des artistes impliqués dans les plis, Nadine Vasseur en résume les principaux aspects :
Le pli revêt plusieurs dimensions et concerne toute matière ou tissu. Il se présente soit comme un état originel, soit comme l’interaction entre la matière et son environnement jusqu’à devenir un processus. Pour Merleau-Ponty, le pli est un processus de différenciation. Pour Gilles Deleuze, qui interprète le concept de monade de Leibniz, le monde serait fait d’une infinité de plis. Il s’appuie sur les recherches des mathématiciens comme René Thom (1923-2002) ou Benoît Mandelbrot (1924-2010) jusqu'aux recherches des biologistes sur l'épigenèse. Le pli caractérise la matière souple et fine telle que le papier ou le textile. Gilles Deleuze écrit :
F. Gehry avec ses plis ronds et ses plis droits semble s’être approprié les deux matières. Mais selon G. Deleuze, le pli serait plus qu'une mise en forme. Il serait plus qu'une démarche. Il inclurait la question de l'existence humaine. Le pliage, serait le moyen de donner une forme indéfiniment variable à une pensée complexe, un corps matériel à une âme immatérielle.
39)ZAERA POLO Alejandro, “Frank O. Gehry, Still Life”, dans El Croquis n° 45, 1996-2003 Frank Gehry, Madrid, El Croquis Editorial, 2003, p.55, “The interest in Gehry representational techniques lies in the use of strategies taken from advertising and the communications media” 40)BUCI-GLUCKSMANN Christine, Philosophie de l’Ornement – D’Orient en Occident, Paris, éditions Galilée, 2008, p.45-46, « D’un côté, l’effet-surface qui va jusqu’à la passion de la peau et du tactile⋯ De l’autre, extrême apparent, l’effet pli et vague comme une immense respiration cosmique des murs : alvéoles, grottes, murs courbes, piliers obliques, escaliers en spirale, ondulation des formes, anticipant sur l’ « architecture liquide » du présent et les inflexions du pli deleuzien. » 41)Op. cit. LAVIN Irving, p.45. 42)ANZIEU Didier, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1974, 1995, 2e éd. 43)ANZIEU Didier (dir.), Les Enveloppes psychiques, ouvrage collectif (D. Houzel, A. Missenard, M. Enriquez, A. Anzieu, J. Guillaumain, J. Doron, E. Lecourt, T. Nathan), Paris, Dunod, 1987, p.39. 44)VASSEUR Nadine, Les Plis, Paris, Seuil, 2002, p.13. 45)DELEUZE Gilles, Le Pli – Leibniz et le Baroque, Paris, Les Editions de Minuit, 1988, p.53.