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OA 학술지
Machines et mondialisation 기계와 경제세계화
  • 비영리 CC BY-NC
ABSTRACT
Machines et mondialisation

이 논문은 프랑스 제3공화국의 영향력 있는 정치가였던 Estournelles de Constant이 기계와 19세기말 경제세계화와의 관계를 어떻게 지각하였는지에 대하여 분석하였다. 이 논문에서 다루는 문제는 “이 특수한 기계와 경제세계화의 관계가 보호무역주의 사상을 보여주는가? 그렇다면 그것은 어떤 종류의 보호무역주의를 이야기하는가?” 이다.

첫 번째 부분은 당시의 역사, 정치, 경제 상황을 세밀하게 이야기한다. 프랑스 제3공화국의 발전, 국수주의의 비상, 경제위기의 보호무역주의 야기 등을 배경으로 두고 있는 이 논문자료의 집필시대는 특별하다.

다음으로 교양 있고 유복한 독자층을 가진 저명한 Revue des Deux Mondes에 실린 두 논문 <<Le peril prochain, l'Europe et ses rivaux>>(1896)과 <<Concurrence et chomage>>(1897)에 대하여 연구하였다.

마지막으로 프랑스 제3공화국의 영향력 있는 인물이었던 작가 Paul d'Estournelles Constant(1852-1924)의 전기에 대하여 분석하였다. 작가는 온건우파공화당의 하원의원으로서 평화주의를 위해 활동했으며, 유럽연합의 선구자로서 1909년 노벨평화상을 받았다.

두 번째 부분은 Paul d'Estournelles de Constant의 기계를 보는 관점에 대하여 다루었다. 무엇보다도 그의 관점이 공장기계파괴운동으로서 기계에 대한 비판, 기계의 비인간적인 면에 대한 비판과 그에 대한 적대감, 기계로 인한 생산과잉에 따른 비판, 자연의 가치를 되찾고자 하는 산업화의 상징인 기계에 대한 정치적인 비판 등 여러 가지 주제로 나뉜다는 것을 알 수 있다. 그리고 19세기말 경제세계화를 증폭시킨 기계의 영향과 특별히 농업분야에서 당시 경제위기의 책임자로 기계를 어떻게 평가하는지에 관한 작가의 관점을 연구하였다.

세 번째 부분에서는 세계경제화와 기계에 대한 작가의 관점과 보호무역주의의 대표 주자 중의 한 명인 Jules Meline과의 관계에 대해 이야기 한다. 기계에 대한 부정적 관점, 치열하게 경쟁하는 경제세계화에 대한 평가, 생산과잉 이론과 같은 Jules Meline의 생각들을 지지하는 작가의 태도로 미루어 보아 우리는 Estournelles de Constant을 보호무역주의자로 인정할 수 있다. 그렇다면 그는 어떤 타입의 보호주의자인가? 마지막 단락에서는 작가의 보호무역주의에 내포된 국수주의를 격렬한 반자유주의적사고, 특별한 지정학적 관점, 민족우월주의, <<peril jaune>> 안에 보여 지는 인종차별 그리고 그의 제국주의적 관점 등 여러 가지 다른 징후들을 바탕으로 이야기한다.

결론적으로 기계와 세계경제화를 바라보는 Estournelles de Constant의 관점은 19세기말의 전형적인 국수주의를 보여준다. 특히 그의 관점은 우리들로 하여금 경제위기와 국수주의 그리고 다양한 보호주의 사이의 관계를 돌아보게 한다.

KEYWORD
Paul d’Estournelles de Constant , Revue des Deux Mondes , Machines , Mondialisation economique de la Belle Epoque , Protectionnisme , IIIe Republique , Nationalisme , Jules Meline
  • Introduction

    La France connait depuis récemment une importante vague d’idées protectionnistes : que ce soit la peur de la mondialisation (61% des Francais percoivent la mondialisation comme une menace1)), ou la question du « patriotisme économique2) », que ce soit une politique prônée par la gauche (Arnaud Montebourg3), Emmanuel Todd4)), une partie de la droite traditionnelle (Nicolas Dupont-Aignant5)), ou encore l’extrême-droite (Marine Le Pen6)), les idées protectionnistes semblent avoir de beaux jours devant elles. L’erreur serait de considérer ces idées politico-économiques comme inédites : de fait, la France a déjà connu cet attrait pour ce courant politico-économique. Cet article, en effet, s’attache à étudier l’un des âges d’or du protectionnisme, celui apparu à la fin du XIXe siècle, aux commencements de la IIIe République, dont le ministère Méline s’est fait le symbole.

    Pour mieux entrevoir le protectionnisme d’un point de vue historique, la pensée d’un auteur, en l’occurrence Paul d’Estournelles de Constant, une figure importante de la droite républicaine modérée de la IIIe République, prix Nobel de la paix, membre de l’élite politique, va être ici analysée en détail. En particulier, afin de mieux saisir la question du protectionnisme, nous nous attacherons à réfléchir aux relations que cet auteur, politique de la IIIe République, établit entre machine et mondialisation. Nous nous demanderons également en quoi cette vision traduit une pensée protectionniste particulière – parce qu’il existe différents protectionnismes.

    Pour y répondre, notre article s’articule autour de trois parties : la première partie introduit et présente notre auteur dans son contexte historique ; la deuxième réfléchit au lien qu’établit notre auteur entre machine et mondialisation ; enfin, la troisième partie analyse plusieurs caractéristiques de la pensée protectionniste de notre auteur – notamment un nationalisme sous-jacent.

    1)Gérard Courtois, « Les crispations alarmantes de la société française », in Le Monde, édition du 24 janvier 2013.  2)Dossier spécial « Patriotisme économique, l’exception française ? » in La Revue Parlementaire, n°887, Avril 2006. Nombreux sont les articles traitant de ce sujet ces dernières années : Ezra Suleiman, « Les limites du patriotisme économique » in Le Figaro, 15 octobre 2007 ; « Good Year Titan : la leçon de patriotisme économique de Maurice Taylor Junior » in Le Point, 20 mars 2013 ; Odile Esposito, « Le patriotisme économique n’existe pas qu’en France ! » in La Tribune, 13 mars 2013)  3)« Arnaud Montebourg « protectionniste », irrite Bruxelles » in Le Monde, 23 octobre 2012.  4)« Emmanuel Todd : la révolution protectionniste » in Le Point, 23 octobre 2008.  5)« Dupont-Aignan veut être le candidat du « protectionnisme intelligent » » in Le Point, 14 décembre 2012.  6)Christophe Forcari, « Le Pen mise sur le protectionnisme » in Libération, 16 janvier 2012.

    Ⅰ. Contexte

       1. Contexte politique et economique

    Les deux textes écrits par notre auteur de tendance républicaine progressiste, « républicain sincère7) », et sur lesquels s’appuie notre étude, se situent dans la décennie 1895-1905 : si l’article intitulé « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux » de la Revue des deux mondes est paru en avril 1896, son confrère « Concurrence et chômage », lui, est publié un an plus tard dans la même revue, en juillet 18978). Ces deux dates sont loin d’être anodines d’un point de vue historique.

    Au niveau politique, la période se signale avant tout par la vulnérabilité de la IIIe République, après une période de solidification indispensable (1870-1880 : lois constitutionnelles, parmi lesquelles la création du Sénat, le 24 février 1875)9). Fragile, cette République l’est d’autant plus que dans la période précédant nos sources, elle doit affronter une série d’événements perturbateurs : ce sont d’abord les scandales financiers (l’affaire des décorations en 1887 avec le député Wilson10), le scandale de Panama en 189211)) qui ternissent son image, puis les attentats anarchistes des années 1892-1894 (assassinat du président de la République Sadi Carnot le 24 juin 1894)12).

    Mais surtout, deux crises majeures la secouent : c’est d’abord la crise boulangiste (1888-1891) ; puis l’affaire Dreyfus (1895-189913), qui durera bien au-delà du fait de son mpact). Deux crises qui révèlent l’émergence d’une nouvelle droite nationaliste et antiparlementaire14), à tendance antisémite et qui trahissent une importante métamorphose des idéologies politiques. Notre auteur, un républicain progressiste de la droite modérée, ne peut qu’être influencé par ce nationalisme ambiant.

    Au niveau économique, l’époque se présente comme dramatique : à la prospérité économique (1850-1873), phase A du cycle Kondratieff, succède une dépression économique sévère (1873-1895), phase B du cycle Kondratieff15) - précisément la date de rédaction de ses deux articles, en 1896 et 1897. Ce constat nous amène à un premier commentaire : comme ses contemporains, notre auteur a connu le début de la dépression économique (nombreux problèmes économiques durant les années 1880 : en 1882, krach de l’Union générale ; en 1886 : 8756 faillites d’entreprises16) ; important chômage), une dépression économique qu’il a vu enfler inexorablement ; cette réalité cruelle ne peut que lui inspirer une vision pessimiste des choses. Prisonnier de son époque, notre auteur a toutes les raisons d’ignorer la reprise économique qui s’exprimera surtout après 190517).

    Les gouvernements de l’époque doivent composer avec cette crise économique de longue durée (1873-1895). Leur réponse est avant tout le protectionnisme : inaugurée par l’Allemagne de Bismarck en 1879, cette politique économique particulière gagne rapidement toute une partie de l’Europe18) (Autriche, Suède, Suisse, Russie, Italie et bien d’autres) et bien entendu la France19), avec les droits de douane de Jules Méline, en 189220). D’un point de vue historique structurel, ce mouvement était déjà en construction dans les années 1880 et en réalité, il se substituait graduellement au libreéchangisme voulu par la plupart des gouvernements de l’époque ? pour la France, il suffit de songer aux traités libre-échangistes Cobden-Chevalier passés avec le Royaume-Uni21).

    Ce protectionnisme de réaction22) dévoile avant tout l’influence grandissante de l’Allemagne en Europe, en particulier d’un point de vue idéologique (songeons au rayonnement de l’école historique allemande23)). En outre, il est une forme de réponse à la mondialisation de l’époque24). En France, incarné par Jules Méline, ce protectionnisme se renforcera jusqu’en 191025) et protégera non seulement le secteur industriel (introduction de droits de douane en 189226)) mais aussi le secteur agricole (une protection moyenne de 11% sur l’ensemble des produits agricoles en 191027)).

       2. Les sources : articles de la Revue des deux mondes

    Les sources principales de notre étude sont deux articles de la Revue des deux mondes signés par Paul d’Estournelles de Constant. Le premier article s’intitule « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux » et est paru en avril 189628). Le deuxième article, nommé « Concurrence et chômage », est publié en juillet 189729), à peu près un an plus tard. Ces deux articles font tous deux une quarantaine de pages (36 pages pour le premier, 40 pages pour le second) – un espace suffisant pour permettre des pensées de fond.

    Concernant cette question, la Revue des deux mondes s’y prête très bien. Toujours en parution, elle argue sur son site Internet d’être la plus vielle revue européenne, car fondée en juillet 1829 par François Buloz30). L’analyse de cette revue très littéraire, de haut niveau, qui mêle fictions, poésies, articles de fond, analyses historiques, géopolitiques, littéraires et réflexions diverses, permet d’établir différents profils des contributeurs :

    A cette énumération, l’on voit donc que ces contributeurs appartiennent à l’élite intellectuelle. Par ailleurs, la ligne éditoriale de la revue possède une réputation que d’aucuns pourraient qualifier de conservatrice, surtout après 1848, comme en témoignent sa prudence lors de l’affaire Dreyfus et son combat contre les idées socialistes31). Autant de constats qui nous aident à cerner l’identité de notre auteur.

    L’analyse des contributeurs amène immanquablement à percevoir les destinataires de la revue comme des gens cultivés, ouverts aux arts, exigeants, intellectuels, et issus des strates supérieures de la société ? en d’autres termes, la bourgeoisie aisée de l’époque, comme les avocats, les médecins, etc. Au moment ou nos articles ici étudiés paraissent, la revue connait une diffusion étendue, large de 20 000 lecteurs32), même si elle doit subir la concurrence de nouvelles revues, telle le Mercure de France. Néanmoins, véritable institution culturelle33), on ne peut douter du « magistère moral » qu’exerce la Revue des deux mondes tout au long du XIXe siècle, elle qui possède 40 000 abonnés à la veille de la Première Guerre mondiale34). Les articles de cette revue demeurent idéaux pour analyser les pensées et les opinions des élites de la IIIe République de cette fin du XIXe siècle.

       3. L’auteur : Paul d’Estournelles de Constant

    Paul Balluet d’Estournelles de Constant (1852-1924), petit-neveu de Benjamin Constant, est la figure même du politique, diplomate et intellectuel de la IIIe République : non seulement par son parcours scolaire, caractéristique des élites francaises (Lycée Louis-le-Grand à Paris, licencié en droit35), diplômé de l’école des langues orientales36)), mais aussi par sa carrière : tour à tour secrétaire d’ambassadeur, chargé d’affaires, ministre plénipotentiaire, secrétaire dans de nombreuses commissions internationales, notre homme est également député de la Sarthe de 1895 à 1904, et officier de la Légion d’honneur37). Sa carrière se voit couronnée en 1909 par le prix Nobel de la paix38).

    Inscrit en 1904 à l’Union Républicaine39), situé politiquement au centre-droit, notre homme, comme cela a été dit précédemment, a surtout oeuvré au moment de la rédaction des articles (1896-1897) dans le progressisme républicain40), tout en étant séduit de temps à autre par des idées de la gauche radicale41). Paul d’Estournelles de Constant est considéré comme une figure importante, sinon majeure, dans trois domaines : a) son opposition à une certaine politique coloniale : à la colonisation, il préfère un système indirect basé sur le protectorat42) ce qui le place, on le verra, dans le groupe des colonialistes, et notamment de la « gauche coloniale43) » ; b) son pacifisme d’avant-guerre : ses multiples initiatives dans ce domaine lui feront attribuer le Prix Nobel de la Paix en 190944) ; c) enfin, il est l’un des premiers promoteurs de la construction européenne, inspirateur notamment de l’idée ? anticipatrice puisqu’accomplie de nos jours ? d’un grand marché européen, une sorte d’union européenne avant l’heure qui serait regroupée en union douanière45).

    Concernant son idéologie politique, dans la période d’écriture de nos sources (1895-1901), notre homme se révèle avant tout être un républicain progressiste. En effet, il ne dédaigne pas des idées proches des radicaux et de la gauche en générale46). Il faut dire que le contexte, avec l’affaire Dreyfus, le poussera, comme nombre de ses confrères de droite modérée, à accepter une alliance avec des socialistes réformistes (Millerand), conduisant ainsi à une union sacrée défendant le régime républicain47).

    S’il ne dédaigne pas certaines idées de gauche, notre auteur demeure cependant conservateur d’un point de vue social. Les membres de son parti sont effectivement des personnes comme Jules Méline, Sadi Carnot, Casimir-Périer, Félix Faure – des personnes en accord avec les milieux d’affaires, et qui sont protectionnistes48). Autant d’éléments qui indiquent que notre auteur est un républicain progressiste modéré, un diplomate et intellectuel de premier ordre, un homme d’influence. Mais il est temps maintenant d’étudier sa vision des machines.

    7)Jean Jolly, « Paul d’Estournelles de Constant » in Dictionnaire des Parlementaires français, disponible sur le site Internet du Sénat français.  8)Eric Bussière, « Premiers schémas européens et économie internationale durant l’entre-deux guerres », Relations internationales, 2005/3 n°123, p.52.  9)Ibid., p.75.  10)Ibid., p.85.  11)Serge Bernstein, Pierre Milza, Histoire du XIXe siècle, Hatier, Paris, 1996, p.406.  12)Ibid., p.107.  13)Ibid., p.93-94.  14)Jean Garrigues, Philippe Lacombrade, op.cit., p.91.  15)Serge Berstein, Pierre Milza, op.cit., p.241.  16)Jean Garrigues, Philippe Lacombrade, La France au 19e siècle, 1814-1914, Armand Colin, Paris, 2002, p.84.  17)Jean-Charles Asselain, Histoire économique de la France, Seuil Histoire, Paris, 1984, p.175-176.  18)Les Etats-Unis auront également une politique protectionniste, qui s’affirmera surtout à partir de 1883 (G. Duby, op.cit., p.384).  19)Gordon A. Craig, Europe, 1815-1914, Wadsworth, Belmont, 2001, p.266.  20)M. S. Anderson, The ascendancy of Europe, 1815-1914, Pearson-Longman, Edinburg, 2003, p.245.  21)Ibid., p.245.  22)John Ravenhill, Global Political Economy, Oxford University Press, New York, 2008, p.140.  23)Ibid.,  24)Georges Duby, Histoire de la France rurale, Seuil, Paris, 1976, p.366.  25)Ibid., p.400.  26)Rita Aldenhoff-Hübinger, « Deux pays, deux politiques agricoles ? Le protectionnisme en France et en Allemagne (1880-1914) », in Histoire & Sociétés Rurales, 2005/1 Vol.23, p.73.  27)G. Duby, op.cit., p.387.  28)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », in Revue des deux mondes, Troisième quinzaine, Mars/Avril 1896 (disponible sur le site Internet de la Revue des deux mondes).  29)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine » in Revue des deux mondes, deuxième quinzaine, juillet/août 1897 (disponible sur le site Internet de la Revue des deux mondes).  30)Olivier Cariguel, « Historique », octobre 2009, in Site Internet de la Revue des deux mondes  31)Olivier Corpet, « Revue des deux mondes La », Encyclopedia Universalis en ligne.  32)Olivier Cariguel, op.cit.  33)Thomas Loue, « L’inévidence de la distinction. La Revue des deux mondes face à la presse à la fin du XIXe siècle », in Romantisme, 2003, n°121, p.40.  34)Jean-Claude Yon, Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, Armand Colin, Paris, 2010, p.76.  35)Laurent Barcelo, « Estournelles De Constant, Paul D’ (1852-1924) », in Encyclopedia Universalis.  36)Jean Jolly, op.cit.  37)Ibid.  38)Laurent Barcelo, op.cit.  39)Jean Jolly, op.cit.  40)Jean-Michel Guieu, « De la « paix armée » à la « paix tout court », la contribution des pacifistes à une réforme du système international, 1871-1914, in Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 2010/2 n°32, p.90.  41)Gilles Candar, « La gauche coloniale en France, Socialistes et radicaux(1885-1905) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2009/1 n°27, p.43.  42)Il défendra cette position dans l’un de ses ouvrages intitulé La Politique française en Tunisie, récompensé en 1892 par l’Académie française(Laurent Barcelo, op.cit.).  43)Gilles Candar, op.cit., p.37.  44)Notons que notre auteur a créé le Groupe parlementaire français de l’arbitrage international pour la résolution pacifique sinon juridique des conflits, il a également été membre du Conseil de l’arbitrage entre les nations, et membre de nombreux congrès pacifistes (Jean-Michel Guieu, op.cit., p.90-91).  45)Eric Bussière, « L’intégration économique de l’Europe au XXe siècle : processus et acteurs », in Entreprise et Histoire, 2003/2 n°33, p.14.  46)Ibid.  47)Michel Winock, La France politique, XIXe-XXe siècle, Editions du Seuil, 2003, Paris, p.161.  48)Serge Bernstein, Pierre Milza, op.cit., p.404.

    Ⅱ. La machine, un agent economique de premier ordre

       1. La machine et sa responsabilite economique

    Tout au long de ses articles, Paul d’Estournelles de Constant porte un regard singulier sur la machine. L’analyse de ce regard fait ressortir plusieurs thématiques énumérées ici.

    La première d’entre elles est l’inhumanité de la machine, exaltée par une puissance et une performance incomparables par rapport à celles des ouvriers : « nos machines (⋯) travaillent indéfiniment, pour des fractions de centimes, (⋯) elles ont laissé vivre à côté d’elles l’ouvrier49)». Rien d’original dans cette critique, typique de l’air du temps et qui reprend la pensée de Marx comme la machine aliénatrice du travail humain50).

    Une autre thématique que Paul d’Estournelles de Constant met en valeur est le chômage que la machine engendre. Ecoutons-le : «(…) mais en attendant quel sera le sort des ouvriers ? La machine toujours en progrès leur prendra de plus en plus les meilleures places (…) ». Cette critique, là encore, n’est pas nouvelle puisqu’elle renvoie au luddisme, un très vieux courant idéologique qui est né au XVIe siècle, lors de grèves violentes d’imprimeurs à Lyon51), et qui a connu son âge d’or au XIXe siècle, notamment en Angleterre, dans les années 181052), et en France, lors de la Monarchie de Juillet (1830-1848)53).

    Notre auteur met également l’emphase sur l’autonomie de la machine par rapport aux humains et son dangereux pouvoir de domination : « Elle travaille déjà presque toute seule, même en Europe, (⋯) et ne comporte qu’un nombre infime de servans (sic) et de surveillans (sic) ; encore a-t-on déjà renversé les rôles et inventé des machines qui surveillent l’homme, contrôlent son travail de jour et de nuit54) ». Ici, sa pensée se fait l’écho de celle de grands auteurs du XIXe siècle, au premier rang desquels Marx (qui a observé que l’être humain n’était qu’un « appendice » de la machine), Richard Owen et l’anarchiste Proudhon55) - des critiques essentiellement émises par des penseurs de gauche, voire socialiste.

    Notre auteur met également en exergue une autre thématique : la rationalité impitoyable de la machine, une rationalité qui, par ses normes mécaniques, domine sans pitié l’être humain56). A cet aspect du machinisme, on voit Paul d’Estournelles de Constant énumérer de graves conséquences sociales causées, selon lui, par la machine : chômage (avec des risques de « révolution »), alcoolisme et surmenage des ouvriers57). Ici, il reprend l’idée des mouvements luddites qui percevaient la machine comme une menace pour l’ordre social58).

    Enfin, le dernier problème de la machine que Paul d’Estournelles de Constant soulève est celui de la surproduction : « Il est clair que la machine devient avec la chimie l’agent d’une surproduction inquiétante59) ». A plusieurs reprises, on le voit s’inquiéter de ce problème économique lié à la machine : « La surproduction dont nous sommes déjà victimes deviendra plus grande encore et avilira brusquement le prix du travail60) ». La question de la surproduction n’est pas neutre puisque notre auteur la voit comme l’une des causes même de la grave crise économique des années 1880 qui secoue la France. Ainsi donne-t-il l’exemple de l’industrie sucrière qui souffre alors de surproduction61).

    Cette théorie de la surproduction était très populaire à la fin du XIXe siècle. Elle était souvent avancée pour expliquer la crise économique de l’époque. Elle stipulait qu’un dangereux décalage entre production et consommation pouvait être la cause d’une dépression économique. Engels et Marx, qui soulignaient les décalages production/marché provoqués par la logique folle du capitalisme62), ont beaucoup contribué à cette théorie. Toutefois, ils n’étaient pas seuls : d’autres économistes comme Joseph Garnier et Alfred Jourdan mettaient aussi en garde contre ce décalage production/consommateurs63).

    Ajoutons que cette analyse de la surproduction se démarque totalement de la théorie économique libérale classique, prônée par exemple par un Jean-Baptiste Say qui minimise, par sa loi des débouchés, le risque de surproduction64) et de fait, écarte l’idée d’une crise liée à la surproduction65). L’essor des sciences économiques, et des théories traitant en particulier de la sous-consommation, a invalidé depuis cette théorie d’une crise liée à une surproduction. La réalité s’avère différente : en fait, les cycles économiques proviendraient d’abord d’un décalage de l’épargne avec les besoins de l’économie66). En outre, comme l’on sait, l’époque connaissait la fin d’un cycle économique de type Kondratieff67).

    Au-delà de ces différentes considérations, l’on constate que ces accusations portées par notre auteur à l’encontre de la machine – inhumanité, chômage, aliénation, domination de la machine, surproduction génératrice de crise économique – sous-entendent non seulement une certaine perméabilité aux idées de gauche, mais aussi une défiance profonde envers l’industrie. Il faut dire que le contexte de crise économique et de chômage dans lequel réfléchit notre auteur ne peut aider à apprécier l’industrie. Un autre facteur joue également : l’importante métamorphose du monde rural qui, secoué par l’exode, se voit de plus en plus influencé par le monde urbain, une tendance qui mène à une exaltation du paysan tant par les politiques que par les écrivains – songeons à Jacquou le Croquant d’Eugène Le Roy, publié en 189968).

    Mais il y a en outre l’aspect politique des choses, le fait que notre auteur écrive en tant que député de la Sarthe, département fortement rural. Par conséquent, ces critiques de la machine, et en arrière-plan de l’industrie, peuvent révéler le souci de ménager des lecteurs (et des électeurs) : n’oublions pas que la IIIe République des progressistes, coincée entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite, continue dans cette période de séduire un électorat rural fortement conservateur69) ? Méline lui-même a créée l’ordre du Mérite Agricole, et la création d’un ministère de l’agriculture totalement indépendant et séparé du commerce, le 14 novembre 1881, est encore récente70). De même, ces mêmes Républicains, auxquels appartient notre auteur, quêtent une stabilisation au pouvoir à long-terme71). Cette stratégie politique est sensée puisque l’on sait que la France de cette décennie 1890 est avant tout une France de « petits propriétaires » (les petites propriétés représentaient alors 76% des exploitations agricoles72)).

       2. La machine, ou l’agent de la mondialisation economique

    Cependant, la plus grande critique de Paul d’Estournelles de Constant vis-à-vis de la machine réside dans le fait qu’elle diffuse la mondialisation économique. Dès le début d’un de ses articles, le ton est donné : « Elle [ l’Europe] s’aperçoit que les produits de ses machines n’ont pas été seuls à franchir les mers, que la machine elle-même a pris son vol et s’en est allée, infidèle, éveiller les peuples dont elle avait fait nos clients, les éveiller, les mettre en état d’abord de se suffire à eux-mêmes, au lieu de nous acheter nos produits, puis de fabriquer et de vendre à leur tour ces produits à la place des nôtres. Elle a transformé en un mot les consommateurs en vendeurs et nos clients en concurrens (sic)73) ».

    Puis de poursuivre sur la diffusion planétaire de la mondialisation économique engendrée, selon lui, par la machine : « Les Etats-Unis tout d’abord ont donné le premier signal de cette émancipation ; mais leur exemple n’a pas tardé à être suivi à leur détriment comme au nôtre, et c’est dans tous les mondes, dans l’Amérique centrale et méridionale, en Australie, aux Indes, au Japon, que les rivaux surgissent et que nos débouchés se ferment ; dans tous les mondes à l’exception de l’Afrique, la nouvelle cliente de l’Europe74)». Paul d’Estournelles de Constant décrit ici à sa manière la première mondialisation, celle dite de Belle-Epoque75), qui voit de 1870 à 1913, les exportations au niveau mondial augmenter en moyenne de 3,4% par an76).

    L’inquiétude de notre auteur est compréhensible : la mondialisation favorise des changements au sein des pôles économiques. Si la Grande-Bretagne et la France déclinent, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Russie, eux, progressent ; certains pays du Sud, tels le Japon, l’Inde et la Chine, commencent également à montrer un dynamisme économique77). La production industrielle mondiale se transforme, et la France voit sa participation dans cette production en être affectée : alors qu’elle était de 9% dans la période 1881-1885, elle chute à 7% dans la période 1896-1900 – exactement la période de rédaction de nos sources. A l’inverse, la part des Etats-Unis, symbole même du « pays neuf » qui réussit dans cette première mondialisation (et que mentionne fréquemment notre auteur), augmente : de 29%, elle passe à 30%, tout comme l’Allemagne (14 à 17%) ou encore le Japon (passe à 1%). Le reste du monde, lui, stagne (19%), mais verra sa part augmenter d’un point dans la période suivante (1906-1910)78).

    Si Paul d’Estournelles de Constant a raison de considérer la machine comme l’un des premiers vecteurs de cette mondialisation ? l’on sait que les changements techniques, notamment l’amélioration des moyens de transport, y jouent un rôle fondamental79) ?, il oublie cependant le facteur démographique, également primordial dans cet essor économique. Effectivement, dans la période 1890-1913, la France ne connait qu’une maigre croissance démographique en-dessous de 4%, alors que les Etats-Unis (55%), l’Allemagne (36%) et la Russie (50 %) expérimentent une explosion démographique80). Néanmoins, on ne peut nier le rôle important de la technologie (les navires à vapeur, etc.), en particulier le transfert technologique, dans cette première mondialisation, que notre auteur souligne81).

    Par ailleurs, en bon député de la Sarthe, département rural, notre auteur attire volontiers l’attention sur les effets désastreux de cette mondialisation sur l’agriculture. Il note comment la machine renforce les économies des pays neufs : « Dans les pays neufs, l’agriculture se développe à pas de géant ; elle n’est gênée ni par la routine ni par un matériel vieilli (…) elle applique les meilleures méthodes, les moyens les plus perfectionnés (…). Elle emploie la machine en grand. L’homme, l’Européen, le Blanc n’est plus pour elle un instrument, un bras ou un contribuable ; il dirige, il exploite. Un Européen à lui seul, avec quelques auxiliaires indigènes, met en valeur toute une contrée. Que de forces économisées et multipliées !82) ».

    Pour notre auteur, cette mondialisation économique, amplifiée par les machines, est grandement responsable de la crise dans l’agriculture83). On le voit ainsi décrire la concurrencée exacerbée des pays neufs qui mettent à mal l’agriculture francaise : « Quand le blé coutait en France 35 francs le quintal, on ne parlait guère de la concurrence de la Russie. L’Amérique était alors le Nouveau Monde ; elle est devenue l’ainée de mondes plus nouveaux. L’Amérique du Sud produit en masse les céréales comme les Indes rajeunies. L’Australie développe ses ressources spéciales avec rapidité, malgré l’insuffisance de sa population, mais elle est suivie elle-même de près par l’Afrique australe à peine née. Partout ailleurs qu’en Europe les terres sont vierges (…). Elles produisent beaucoup sans frais, sans engrais (…). Voyez les Indes (…)84) ». Ces références à cette mondialisation touchant de plein fouet le secteur agricole reviennent fréquemment dans ses articles85).

    On peut estimer que les craintes de notre auteur sont fondées car à cette époque en France, la part de population oeuvrant dans l’agriculture représentait 43% de la population active86) - presque la moitié de la population francaise. De même, a-t-il des raisons d’être pessimiste car la période de rédaction de nos sources voit la part du produit agricole dégringoler sérieusement au sein des échanges extérieurs francais, au profit d’importations agricoles toujours plus importantes : si dans la période du Second Empire, la part du produit agricole se situait encore à -5,3% (1855-1864), par la suite, elle s’établit à -15,3% (1885-1894) 87). Autre symptôme de la crise qui justifie les craintes de notre auteur : une baisse des prix, qui s’opère dans la plupart des secteurs de l’agriculture ? aussi bien dans l’élevage, que dans le cours des légumes, ou que dans le vi n88).

    Le cas du blé, souligné précédemment par notre auteur, est d’ailleurs emblématique et lui donne raison : il est avéré que l’intégration des pays neufs dans le commerce international a fait chuter les prix du blé de 40% entre 1880 et 190089), et a provoqué une augmentation des importations francaise de blé ? de 0,3% de la production en 1851-1860, elles passent à 10% en 1871-1880 puis grimpent à 19% en 1888-189290). Cette dépression agricole, liée à la mondialisation de l’économie91), à la concurrence des pays neufs92), se traduit socialement par une forte chute des revenus paysans (baisse de 20% entre 1873 et 189493)), qui ne peut que préoccuper notre auteur, député de la Sarthe.

    Dans ce contexte de crise économico-sociale, la machine ne peut être entrevue que négativement pour notre auteur. Néanmoins, d’après notre auteur, les conséquences de la machine vont bien plus loin en favorisant amplement cette mondialisation économique : elle engendre pour la France un futur apocalyptique au niveau économique. En effet, tout au long de ces textes, Paul d’Estournelles de Constant affiche effectivement son pessimisme sur l’avenir d’une Europe et d’une France balayées par le vent brutal de la mondialisation : « (…) la concurrence [des pays neufs] va ruiner l’Europe à présent que ces mêmes contrées lointaines vendent en masse et à vil prix tout ce que notre agriculture et notre industrie produisent à grands frais. Nous ne pourrons pas soutenir la concurrence contre nos jeunes rivaux (…)94) ». Non contente d’être responsable de ce lendemain de misère, la machine ruinera aussi la classe des travailleurs95).

    Notre auteur insiste souvent dans ses écrits sur ce futur ténébreux pour l’Europe et la France : « (…) Notre vieux monde a-t-il achevé sa carrière, joué son rôle ? Est-ce la civilisation qui nous quitte et commence une émigration nouvelle ? Se prépare-t-elle à abandonner l’Europe pour aller régner sur d’autres continens (sic) ? (…) Essayons de mesurer les progrès de cette concurrence qui peut nous réduire à l’inaction et à la ruine 96) (…) ». Pour mieux illustrer ce sinistre futur, notre auteur aime utiliser des exemples précis, comme le cas des textiles97). C’est également dans ce contexte qu’il propose la création d’une communauté européenne98), projet qui fait de lui un pionnier de la construction européenne99). Cette peur exacerbe pareillement son pacifisme100) mais aussi d’autres tendances, qui seront étudiées ultérieurement (partie III/2/).

    Mais il est temps maintenant de mettre en rapport cette vision de la machine et de la mondialisation avec la pensée protectionniste.

    49)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine » op.cit., p.411.  50)Sophie Jankélévitch, « Machine » in Encyclopedia Universalis.  51)Bertrand Gille, Pierre Naville, « Machinisme » in Encyclopedia Universalis.  52)« Luddite », in Encyclopedia Britannica.  53)François Jarrige, « Au temps des « tueuses de bras ». Les bris de machines et la genèse de la société industrielle (France, Angleterre, Belgique, 1780-1860) », in Revue d’histoire du XIXe siècle, 44, 2012, p.5.  54)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.411.  55)Sophie Jankélévitch, op.cit.  56)Marcuse Herbet, « Quelques implications sociales de la technologie moderne », in Tumultes, 2001/2-2002-1 n°17-18, p.18.  57)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.411.  58)François Jarrige, op.cit., p.6.  59)Ibid.  60)Paul d’Estournelles de Constant, Lettre-Préface à M. Edmon Théry, Préface du livre Le péril Jaune, Edmond Théry, Félix Juven, Paris, 1901, p.21.  61)« La surproduction s’organise partout grâce à nous et à notre détriment (⋯). La crise du sucre n’est qu’un exemple entre beaucoup d’autres (⋯). On fait du sucre partout à l’excès, depuis la Roumanie, jusqu’à Buenos-Ayres, à Honolulu (⋯). Et cependant tous les gouvernements européens, et d’autres mêmes, encouragent par des primes cette surproduction, comme s’ils étaient en face d’une crise passagère et non d’un mal naissant » (Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.421).  62)Jean-Charles Asselain, Anne Demartini, Pascal Gauchon, Patrick Verley, « Crises économiques », in Encyclopedia Universalis  63)Nicolas Gallois, « Les crises : l’analyse des économistes français du XIXe siècle », in L’économie politique, 2012/3 n°55, p.21.  64)Johannes Overbeek, Free Trade versus Protectionism, A Source Book of Essays and readings, Edward Elgar Publishing, Northampton, 1999, p.61-62.  65)Nicolas Gallois, op.cit., p.21.  66)Ibid.  67)Serge Berstein, Pierre Milza, op.cit., p.241.  68)Jean Guarrigues, Philippe Lacombrade, op.cit., p.109.  69)Chun Soo-Yun, « Amis de l’agriculture » (1870-1892) », ou comment rallier les campagnes à la République ?, in Histoire & Sociétés Rurales, 2003/2 Vol.20, p.148, p.171  70)Georges Duby, op.cit., p.390.  71)Francis Démier, La France du XIXe siècle, 1814-1914, Editions du Seuil, Paris, 2000, p.361.  72)Ibid., p.436.  73)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.652.  74)Ibid., p.652.  75)John Ravenhill, op.cit., p.307.  76)Ibid., p.8.  77)Thomas D. Lairson, David Skidmore, International Political Economy, The Struggle for Power and Wealth, Thomson Wadsworth, Belmont, 2003, p.49.  78)Ibid., p.50  79)John Ravenhill, op.cit., p.296.  80)Thomas D. Lairson, David Skidmore, op.cit., p.49.  81)John Ravenhill, op.cit., p.8.  82)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.657.  83)« La crise est incontestée dans l’agriculture » écrit-il ainsi (Paul d’Estournelles de Constant, Ibid., p.653).  84)Ibid., p.657.  85)Ibid., p.650-658, 660, 671-672 / Pour l’article « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », on trouve ces mentions pages 416-421, p.424-426, p.434-435.  86)Rita, op.cit., p.68.  87)Jean-Charles Asselain, op.cit., p.158.  88)Georges Duby, op.cit., p.367.  89)Jean Garrigues, Philippe Lacombrade, op.cit., p.84.  90)Jean-Charles Asselain, op.cit., p.161.  91)Francis Démier, op.cit., p.339.  92)Georges Duby, op.cit., p.366.  93)Ibid., p.339.  94)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.412, mais aussi p.444-445 du même article où notre auteur écrit : « Nous sommes arrivés à l’un des plus redoutables et des plus brusques tournans de notre histoire. L’heure est venue de jeter un cri d’alarme (⋯) » (p.445).  95)« Nos ouvriers travailleront par intermittences ; ils chômeront à mesure que leurs rivaux lointains travailleront davantage. Mais ces rivaux eux-mêmes seront à la merci des machines, nouvelles régulatrices des salaires, dont la concurrence exigera le plus possible (⋯) ; et le prix des choses baissera avec le prix des salaires, triomphe du bon marché et de la misère » (Ibid., p.412).  96)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.653. Et aussi p.667, p.685-686.  97)Il analyse l’isolement commercial de l’Europe dans la vente des textiles et s’en sert pour le généraliser à l’industrie. (Ibid., p.677).  98)« Et les nations de notre vieux monde auront bientôt mieux à faire que de se surveiller les unes les autres (⋯) ; il leur faudra, bon gré mal gré, pour subsister, se résoudre à mettre en commun leurs forces rivales et chercher comme les individus leur salut dans l’association » (Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.408)  99)Eric Bussière, op.cit., p.14.  100)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.441.

    Ⅲ ? La tentation nationaliste

       1. Une vision meliniste de la machine

    Notre auteur était-il protectionniste ? Ici et là, on le voit mentionner Jules Méline101), alors président du conseil (1896 à 1898) et chef de file du mouvement protectionniste102). Cependant, Paul d’Estournelles de Constant semble afficher sa perplexité sur cette politique économique : « Et si dans le désir de protéger le travail national nous imposons trop lourdement des droits d’entrée à nos concurrens (sic), on nous répondra par des représailles ; les Etats-Unis frapperont de droits prohibitifs les gants de femmes, les vins fins (…) ; la Belgique arrêtera nos boeufs, et nos produits se vendront de plus en plus mal, même ceux de nos campagnes (…) 103)». Tout pareillement, dans sa préface du livre d’Edmond Théry, écrite en 1901, il s’interroge sur la qualité des mesures protectionnistes et préconise plutôt une solution intermédiaire, qui combinerait libre-échange et protectionnisme104). Pourtant, derrière ces débats de facade, diverses preuves semblent indiquer l’adhésion de notre auteur au mélinisme ? c’est-à-dire au protectionnisme de Jules Méline.

    La vision de la machine, sujet de notre article, et qui occupe une place particulière dans la pensée économique, permet ici de le constater. Ecoutons donc Jules Méline à ce sujet : « Dans les deux cas [celui du machinisme et de la surproduction] le résultat est le même ; il se traduit par une réduction du travail humain, une diminution de la main-d’oeuvre inévitable »105). Comme notre auteur, Jules Méline reprend ici l’argument luddite : il met en avant le chômage causé par les machines (partie II/1). On le voit en outre rappeler l’aliénation causée par la machine : « Il n’y a donc aucune raison pour qu’avec le temps on n’arrive pas à remplacer presque complètement l’homme par l’esclave de fer (…) 106)».

    Comme notre auteur, l’un des plus importants pères du protectionnisme français s’étend sur la modernisation des pays neufs par le biais des machines : « Cela fait, il restera toujours un facteur qui continuera à exercer son action sur les conditions de la production ; ce facteur, c’est le perfectionnement indéfini des machines (…). Le phénomène s’accomplit tous les jours sous nos yeux et ne peut être mis en doute par personne. Il atteint aujourd’hui les limites de l’invraisemblable. Les Etats-Unis (…) font chaque jour une découverte nouvelle qui réduit d’autant le nombre de leurs ouvriers ; n’ont-ils pas inventé ce nouveau métier pour le tissage du coton, le métier Northop, qui n’exige qu’un seul ouvrier pour la conduite de 9 et même de 12 métiers107) ! ». Et imitant encore notre auteur, Jules Méline souligne la concurrence impitoyable que font subir les pays neufs à la France108).

    Mais ce qui est le plus intéressant, et qui fait partager la même vision politique économique que Paul d’Estournelles de Constant, est qu’il émet la même théorie de surproduction (étudiée dans la partie II/1/), et qu’il la juge également responsable de la crise économique : « La crise durera tant que l’équilibre ne sera pas définitivement rétabli entre la production et la consommation109)(…) » ; « A la vérité, c’est qu’aujourd’hui l’excès de production est un mal endémique qui sévit aussi bien en pays libre-échangiste qu’en pays protectionniste110)».

    Et, remarque-t-il, les machines en se multipliant dans les pays neufs, participent largement à cette surproduction : par exemple, avec l’industrie cotonnière : « (…) quand d’un bout du monde à l’autre on constate que les moyens de production de l’industrie cotonnière dépassent de beaucoup les besoins de consommation générale !111) ». Ou encore avec l’exemple de l’industrie lainière, menacée de surproduction et maltraitée par une mondialisation sauvage : « Aussi a-t-elle [ l’industrie lainière] été plus atteinte que d’autres quand s’est dessiné dans le monde ce grand mouvement (…) qui a poussé la plupart des nations à établir chez elles toutes les branches de fabrication pour lesquelles elles étaient tributaires de l’étranger (…). La laine ne pouvait pas échapper à la loi commune (…) : elle a vu successivement l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Autriche, la Russie, l’Espagne développer leur production lainière et lui enlever une grande partie de ses débouchés112) ». Jules Méline évoque aussi le cas du Japon qui, avec ses machines modernes, nuit économiquement à la France113).

    S’il mentionne cette théorie de surproduction, Jules Méline fait également part de ses inquiétudes concernant les conséquences néfastes de cette mondialisation pour la France et l’Europe114). On le voit aussi suivre notre auteur quand il associe l’essor du machinisme avec un comportement négatif et immoral qui a pour dominante une ambition démesurée et une avidité folle, aux limites de la maladie115). Ajoutons que Jules Méline, l’un des plus grands agrariens francais, a la même vision critique de l’industrie que Paul d’Estournelles de Constant116).

    Tous ces éléments font donc constater que Méline et Paul d’Estournelles de Constant partagent la même idéologie politicoéconomique – une pensée protectionniste.

    Outre sa vision particulière de la machine et de la mondialisation, qui s’apparente à celle de Jules Méline, d’autres signes attestent ce mélinisme chez notre auteur : plusieurs fois, non sans habileté, il use de sous-entendus pour mieux convaincre son lecteur de la justesse de la pensée protectionniste : par exemple ici, quand il précise qu’implanter une usine étrangère dans un pays neuf pourrait causer la ruine économique de son propre pays117). Ou encore ici, quand il démontre comment une politique protectionniste pourrait favoriser la croissance économique, en prenant l’exemple du Japon(le même que Méline) : « S’inspirant de l’exemple des Etats-Unis, ils [ les Japonais] se flattaient d’appliquer à leur profit la doctrine de Monroe : l’Asie aux Asiatiques, l’Asie fermée aux produits européens, non seulement par tous les privilèges que nous avons énumérés déjà, mais par des tarifs protectionnistes et par d’autres mesures de rigueur (…). La victoire du Japon sur la Chine ouvre un chapitre nouveau dans l’histoire du monde. L’Europe perdra très vite la clientèle de l’extrême Orient 118)».

    Mais notre auteur émet aussi des constats très critiques à l’égard du libre-échange, qui ne peuvent qu’amener le lecteur de l’époque à préférer une politique protectionniste : « Alors faisons du bétail ! Mais là encore la concurrence s’exerce et s’ingénie à perfectionner les moyens de nous surprendre. On est trop pressé de jeter la pierre à M. Méline : les faits ne lui donnent que trop raison. L’importation du bétail vivant en Europe augmente d’année en année (…). Une discussion toute récente, à la Chambre des députés, a établi que nous recevions des quantités assez considérables de bétail vivant d’Amérique ; mais c’est l’Angleterre surtout qui en souffre puisque ses portes sont grandes ouvertes (…). Quant aux viandes mortes, l’apport en est énorme (…) et je crois en effet qu’on ne saurait évaluer le chiffre des boeufs, des moutons, des porcs, etc., que l’Europe reçoit d’Australie, d’Amérique et d’ailleurs (…)119) ».

    Ces divers signes dénotent donc l’idéologie protectionniste de notre auteur. Malgré tout, il nous reste à définir quel type de protectionnisme il s’agit et à le mettre en rapport avec son époque.

       2. Une pensee nationaliste caracteristique de la fin du XIXe siecle

    Qu’est-ce donc que le protectionnisme ? Sur ce point, les économistes et historiens concordent : il existe différents types de protectionnisme120) : a/ des protectionnismes éducateurs (pour permettre le développement économique d’un pays) ; b/ des protectionnismes de crise – citons par exemple le cas de la politique de Roosevelt, avec son Tarif Smoot-Hawley en 1930 ; c/ enfin, des protectionnismes liés au nationalisme121).

    Ces divers constats démontrent clairement que, contrairement à une croyance établie, le protectionnisme n’est pas forcément synonyme de nationalisme, mais que c’est une doctrine économique large, susceptible d’accepter des idéologies politiques qui ne sont pas forcément extrémistes – ainsi, l’on sait que l’économiste Keynes, le penseur même du keysianisme proposait une politique protectionniste pour contrer la crise de 1929122).

    Mais pour mieux comprendre le type de protectionnisme choisi par notre auteur, un rappel contextuel s’impose. Paul d’Estournelles de Constant écrit à la fin de la dépression économique : sa pensée peut donc être considérée comme un protectionnisme de réaction face à la crise économique123) - c'est-à-dire un protectionnisme lié à la conjoncture. Cependant, le protectionnisme de notre auteur semble aller bien plus loin qu’une simple réaction à une conjoncture donnée car il comporte également un nationalisme exacerbé124).

    L’on sait qu’à la fin du XIXe siècle une importante mutation des nationalismes s’opère125) : le cas est bien connu pour la France, comme cela a été dit précédemment (partie I/1/), avec l’émergence d’une nouvelle extrême-droite (affaire Boulanger et Dreyfus) ; c’est également le cas avec l’Allemagne autoritaire du Kaiser126). En vérité, la fin du XIXe siècle, et notamment les années suivant 1870, voit se dérouler un nouveau type d’impérialisme nationaliste et colonialiste127). Et les protectionnismes de Jules Méline et de notre auteur Paul d’Estournelles de Constant peuvent être percus comme des traductions directes de ces mouvements idéologiques128).

    Effectivement, l’Europe de cette époque baigne fortement dans l’influence idéologique allemande, en particulier l’école de pensée du nationalisme économique (List et l’école historique allemande)129) : même la Grande-Bretagne, de tradition libre-échangiste, se voit influencée par ce courant idéologique (ainsi que le démontrent les hommes d’influence de l’époque, tels Chamberlain, Ashley ou Mackinder130)). La France, avec Jules Méline et notre auteur, n’y fait évidemment pas exception.

    Cependant, il est important de différencier un protectionnisme normal, issu d’une idéologie neutre, et un protectionnisme issu d’une idéologie nationaliste. En fait, diverses caractéristiques nous permettent de distinguer l’idéologie nationaliste de notre auteur. Les voici énumérées ici :

    a) Une critique puissante du libéralisme économique, en particulier lorsque notre auteur traite de la concurrence. Ici, une citation explicite : « Sans livrer de batailles, la concurrence s’insinue, comme l’eau pénètre dans les caves ; elle s’installe dans nos maisons. Au début, elle rend service, apporte des économies, des simplifications, des progrès, du bien-être (…). C’est à la longue seulement qu’on s’apercoit de la part trop large qu’elle occupe (…)131)». On remarque le caractère pernicieux, insidieux prêté à la concurrence, qui se voit presque assimilée à une maladie. Par ailleurs, notre auteur introduit fréquemment dans ses descriptions de la concurrence l’idée de mort et de misère : « Il y a la concurrence qui stimule, qui fortifie, qui enrichit ; il y a celle qui épuise, qui démoralise et qui ruine. (…) la concurrence va ruiner l’Europe à présent que ces mêmes contrées lointaines [ les pays neufs] vendent en masse et à vil prix tout ce que notre agriculture et notre industrie produisent à grands frais132) ». Cette concurrence, que les machines accroissent, est porteuse, comme on l’a vu, d’un avenir ténébreux (« la ruine » de l’Europe et de la France et le chômage, comme l’indique le titre de notre source). Or l’on sait que l’apologie de la concurrence constitue une caractéristique profonde du libéralisme classique du XIXe siècle133), ce qui classe d’emblée notre auteur dans une pensée antilibérale, plutôt proche du nationalisme économique de List, qui donne une part importante à la nation134). En outre, l’on est bien loin de la promotion de la machine, censée améliorer la concurrence, qu’établit par exemple l’économiste classique Ricardo135).

    b) Une vision particulière de la géopolitique (on renvoie ci notre lecteur à la partie II/2/) : pourtant pacifiste, notre auteur percoit avant tout la compétition économique entre les pays comme guerrière, belliqueuse, une sorte de lutte économique à la mort ; le champ lexical de la guerre brille particulièrement dans la citation suivante : « Les nouveaux mondes commencent à peine à entrer en valeur et ils ne se bornent pas à fermer leurs portes à un grand nombre de nos produits, ils se mettent en mouvement pour nous apporter les leurs déjà surabondants ; chaque jour ils font un pas de plus vers nous et le cercle menacant dont ils nous investissent devient de plus en plus étroit (…). Nos inventions ont rompu leurs digues ; des réservoirs débordant d’énergie humaine qui dormait ont à présent trouvé leur pente de notre côté. Comment nous défendre contre ce déluge ?136) ». Il est avéré que les visions qui donnent la part belle à la guerre économique entre Etats, qui survalorisent les conflits entre nations et qui promeuvent la puissance économique des uns aux dépens des autres est typique du nationalisme économique de la fin du XIXe siècle137). Là encore, l’on est aux antipodes de la pensée libérale classique qui entrevoit d’abord l’économie d’un point de vue cosmopolite138).

    c) La place qu’il accorde à l’Etat et à la nation en particulier : sous sa plume, on est bien loin de la vision des libéraux qui nient l’Etat dans les échanges économiques139), ou les marchandises s’ajustent naturellement les unes avec les autres ; l’on se trouve plutôt dans la vision d’un monde ou les Etats l’emportent sur les individus et ou la puissance d’un pays se définit par sa capacité productive ? des traits distinctifs du nationalisme économique, et la pensée de List en particulier140) : « La France n’est pas plus atteinte que ses voisins par la révolution économique, elle a des ressources plus rares, plus variées ; rendons-lui ses moyens naturels de résistance, épargnons-lui des dépenses superflues de forces, des piétinemens (sic), des complications qui l’épuisent ; changeons son hygiène, simplifions sa vie et elle retrouvera sa vigueur, son succès. Nous la maintenons dans un état d’infériorite volontaire, et nous lui demandons de resister à la concurrence141) ! ». Cet attachement à la nation et à l’Etat amène en outre notre auteur à se montrer très critique à l’egard des expatries qui, selon lui, ont un pouvoir de nuisance envers l’economie francaise142). Cette pensee orientee sur la nation se retrouve aussi dans la machine qu’il juge apatride, antinational et traitre143).

    d) L’expression d’un racisme issu du nationalisme ; l’analyse de la vision de Paul d’Estournelles de Constant concernant le rapport des Japonais avec la machine le démontre ici crument : « Mais les ouvriers jaunes à présent vont revenir à la charge et par un chemin détourné ; ils vont tuer le travail de loin, avec des armes à longue portee, avec les machines, avec les transports, avec la contrefacon144) ». Ou encore ici, lorsqu’il cite un auteur australien raciste, Pearson : « Il [ le livre de l’Australien Pearson] vaut pourtant beaucoup plus que d’autres la peine d’être medite : il [ le livre] nous montre les pays de races blanches envahis ou debordes par les races qu’il qualifie d’inferieures : les Indiens, les nègres, les jaunes145) ». Nous n’avons ici aucun doute du racisme violent de Paul d’Estournelles de Constant, qui baigne dans le courant du « Peril jaune » (dit « Yellow Peril », courant qui s’est etendu en Europe et aux Etats-Unis de l’epoque146)). Notre auteur est d’ailleurs reconnu comme l’un des animateurs de ce courant racist e147), alors très en vogue148) (il a preface l’ouvrage raciste le Peril jaune d’Edmond Thery). On remarquera egalement le rôle de la peur (vision apocalyptique du futur d’un point de vue economique) dans ce racisme ? la peur qui, comme chacun sait, a un rôle premier dans le racisme149).

    e) L’expression d’un impérialisme colonial : si Paul d’Estournelles de Constant passe pour s’être opposé à l’établissement des colonie s150), il n’en est pas moins colonialiste puisqu’il préconisait l’etablissement de protectorats151). A plusieurs reprises dans ses articles, on le voit aborder cette question, regrettant que le gouvernement de l’epoque (Jules Meline, lui aussi très colonialiste) n’ait pas suivi ses propositions152). Au-delà de cette proposition, Paul d’Estournelles de Constant devoile une vision raciste des Africains qui soutient cet imperialisme : « Les sauvages en se civilisant prendront nos gouts et nos faiblesses153) » remarque-t-il ainsi. Ce n’est pas pour rien s’il est connu pour être un representant typique de la « gauche coloniale » de la IIIe Republique, oeuvrant pour des groupes coloniaux154). Ajoutons que notre auteur a recu le prix Nobel de la Paix en 1909 pour son pacifisme, qui apparait ici bien contradictoire avec son imperialisme…

    Ces divers points permettent donc de démontrer le contenu nationaliste de sa pensée. Si le premier point (la critique du libre-échange) et le troisième point (le rapport avec la nation) peuvent être entrevus dans d’autres tendances politiques, en revanche le deuxième point (la vision géopolitique conflictuelle) et les deux derniers points (le racisme et l’impérialisme) sont des caractéristiques fondamentales de ce courant de pensée. La machine, qui symbolise la modernité, l’industrie mais aussi la mondialisation économique et l’émergence des pays neufs, nous permet donc de dévoiler ces différentes tendances.

    101)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.655.  102)Francis Démier, op.cit., p.589.  103)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.429.  104)« Renonçons à chercher le remède, dans une réaction qui nous achèverait ou dans une formule : libre-échange, protection, collectivisme ou bimétallisme – non le remède est beaucoup plus complexe » (Paul d’Estournelles de Constant, Préface du livre Le péril Jaune, op.cit., p.23)  105)Jules Méline, Le retour à la terre et la surproduction industrielle, Hachette, Paris, 1905, p.67.  106)Ibid., p.71.  107)Ibid., p.69.  108)Ibid., p.22-23, p.149-155, p.261-263.  109)Ibid., p.49.  110)Ibid., p.67.  111)Jules Méline, op.cit., p.67.  112)« Le Japon vient de construire trois grands établissements de tissage mécanique pour la mousseline de laine qui était notre meilleure branche d’exportation ». Ibid., p.57.  113)Ibid., p.57.  114)« elle [ la France] a vu se fermer devant elle des débouchés anciens et fructueux au fur et à mesure que ses clients des différents pays se sont émancipés d’un point de vue industriel et ont installé chez eux des industries rivales des siennes. D’autres marchés lui ont été enlevées par des concurrents plus puissants et mieux armés qu’elle ; ceux de l’Amérique du Sud lui ont été pris en partie par les Etats-Unis et l’Allemagne » (Ibid., p.51). On trouve aussi des réflexions sur le sombre avenir de l’Europe pages 23-24.  115)« Aujourd’hui, on est pressé de faire fortune et on s’imagine que l’industrie est le plus court chemin pour y arriver. Tous les ambitieux se jettent du même côté sans se demander si toutes les bonnes places ne sont pas prises (⋯). La tentation est d’autant plus grande que la production industrielle est sans limites ; c’est en cela qu’elle diffère profondément de la production agricole qui est forcément renfermée dans les limites de la terre cultivable. En industrie, au contraire, le champ d’activités est sans bornes ; on peut construire des usines, monter des broches et des métiers tant qu’on veut » (Ibid., p.62)  116)Tout au long de son ouvrage, il oppose les citadins et les ruraux, ruraux dont il dresse un portrait élogieux (Ibid., p.203-214).  117)Par exemple, si dans un premier temps, il critique la politique protectionniste en expliquant qu’elle ne facilitera pas la vente de produits français, il explique qu’implanter des usines nouvelles dans des pays neufs aurait des conséquences désastreuses pour l’économie française « il eût combattu avec nos rivaux contre nous, au lieu de combattre contre eux ; il serait revenu vivre enrichi dans son pays pauvre » (Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.422).  118)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.667.  119)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.655.  120)« Il désigne les instruments utilisés par un Etat pour protéger les productions nationales de la concurrence étrangère : droits de douane, quotas d’importation, normes, autorisations administratives. Si l’on adopte un point de vue plus large, le protectionnisme englobe toutes les dispositions ayant un impact sur le commerce extérieur (⋯) barrière tarifaires et non tarifaires (⋯) aides diverses, directes et indirectes, qui permettent à ce pays de résister à la pénétration des marchandises étrangères ou qui favorisent ses exportations » (Bernard Guillochon, « Protectionnisme », in Encyclopedia Universalis).  121)Ibid.  122)Johannes Overbeek, op.cit., p.413.  123)John Ravenhill, op.cit., p.140.  124)M. S. Anderson, op.cit., p.247.  125)E. J. Hobsbawm, op.cit., p.121.  126)Johnannes Overbeek, op.cit., p.151.  127)Ibid., p.155.  128)Ibid., p.255. On peut aussi rajouter un autre auteur français, Emile Cauwès.  129)M. S. Anderson, op.cit., p.246.  130)Ibid., p.246.  131)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.408.  132)Ibid., p.412.  133)Johannes Overbeek, op.cit., p.30-31.  134)Ibid., p.213.  135)Leonard Gomes, op.cit., p.209.  136)Ibid., p.407.  137)Johannes Overbeek, op.cit., p.157.  138)Leonard Gomes, op.cit., p.75.  139)E. J. Hobsbawm, Nations and Nationalism since 1780, Programme, Myth, Reality, Cambridge University Press, 2007, p.26  140)Leonard Gomes, The Economics and Ideology of Free Trade, Edward Elgar, Northampton, p.76-77.  141)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.448.  142)Paul d’Estournelles de Constant, Ibid., p.418.  143)Paul d’Estournelles de Constant, « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux », op.cit., p.651-652.  144)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.422.  145)Ses textes montrent la grande violence du racisme européen de la fin du XIXe siècle (un racisme qui était aussi antisémite et qui sait quels désastres il a engendré), notamment aux pages 666-667, 670 de son article intitulé « Le péril prochain, l’Europe et ses rivaux »).  146)« Race » in Encyclopedia Britannica.  147)Yamasaki Yukiko, « Représentations françaises du Japon et des Japonais, de 1894 à 1940 », in Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 2011/2 n°34, p.18.  148)Ibid., p.23.  149)Albert Memmi, « Racisme » in Encyclopedia Universalis.  150)Site du Sénat français.  151)Laurent Barcelo, op.cit.  152)Paul d’Estournelles de Constant, « Concurrence et chômage, nos rivaux, nos charges, notre routine », op.cit., p.426.  153)Ibid., p.414.  154)Gilles Candar, op.cit., p.43

    CONCLUSION

    La vision particulière de la machine de Paul d’Estournelles de Constant traduit donc une vision protectionniste de tendance nationaliste, et de type méliniste.

    On a dans un premier temps vu que la vision de la machine de notre auteur se faisait l’écho des critiques traditionnelles du XIXe siècle : que ce soit une critique luddite, la mise en avant de la théorie de la surproduction ou une critique plus traditionnelle (celle de l’aliénation de la machine reprise chez Marx), cette vision marque également la préférence de notre auteur – député rural soucieux de ses électeurs – pour la campagne : rien d’étonnant lorsqu’on sait que la IIIe République a utilisé le protectionnisme économique pour établir un consensus au sein de la société française155).

    Cependant, cette vision de la machine nous démontre aussi une peur particulière vis-à-vis de la mondialisation économique : non seulement elle souligne les conséquences négatives de la mondialisation de la fin du XIXe siècle – mondialisation dont les machines sont en partie responsables – mais en plus, elle suggère des lendemains apocalyptiques si rien n’est fait. Cette vision particulière, loin d’être isolée, était en fait partagée par le chef de file des protectionnistes, Jules Méline, ce qui, au travers de différentes preuves, nous conduit à classer cette pensée comme étant protectionniste. Néanmoins, ce type de protectionnisme – puisqu’il en existe plusieurs – se révèle essentiellement nationaliste et typique de cette fin du XIXe siècle.

    Toutefois, cela ne doit pas nous faire associer protectionnisme et nationalisme, d’autant qu’en ces temps de crise, nombreux sont les économistes qui n’hésitent pas à appeler à une révision de la recherche concernant le protectionnisme face à ce qu’ils nomment « le mouvement néolibéral de réinterprétation de l’histoire des idées économiques »156). D’autres points concernant la crise économique de cette fin du XIXe siècle pourraient ici être soulevés, et pourraient nous amener à réfléchir davantage à la fragilité de notre époque157). Cependant, l’on peut établir ce constat : le protectionnisme n’est sûrement pas un accident de l’histoire.

    155)Peter Alexis Gourevitch, “International Trade, Domestic Coalitions, and Liberty: Comparative Responses to the Crisis of 1873-1896” in The Journal of Interdisciplinary History, Vol.8, N°2 (Autumn 1977), p.310.  156)Eric Boulanger, op.cit., p.92.  157)On peut déjà noter les points suivants : a) le fait que tous les pays de la fin du XIXe siècle aient choisi une politique protectionniste durant la mondialisation économique de la Belle-Epoque, l’une des époques où, d’après de nombreux historiens, la mondialisation était des plus actives ; b) la dépression économique de la fin du XIXe siècle a fortement augmenté le nationalisme et alimenté ses dérives, dont le racisme, comme cela a été vu chez notre auteur ; c) Le nationalisme n’était pas réduit aux extrêmes mais il touchait l’ensemble de la population dont des élites qui passaient pour modérées : notre auteur, par ailleurs l’un des pionniers de la construction européenne et prix Nobel de la Paix 1909, le démontre froidement.

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