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L’homme et les animaux : la pensee naturaliste de Charles-Georges Leroy dansLettres sur les animaux (1762) 인간과 동물 : Lettres sur les animaux(1762)에 담겨진 Charles-Georges Leroy의 박물학사상
  • 비영리 CC BY-NC
ABSTRACT
L’homme et les animaux : la pensee naturaliste de Charles-Georges Leroy dansLettres sur les animaux (1762)
KEYWORD
Nature ? Place de l’homme par rapport aux animaux , Place de l’homme dans la nature , deisme , sciences positives , Animaux-machines , materialisme , Buffon , Daubenton , l’Encyclopedie
  • Introduction

    La poésie des tableaux du XVIIIe siècle traitant de la nature nous fascine. Que ce soit François Boucher, Joseph Vernet, Jean-Honoré de Fragonard, Pierre-Henri de Valenciennes ou Jean-Philippe Loutherbourg, la nature nous y apparaît systématiquement sous un angle original ; avec sa végétation, ses jeux de lumière, ses reliefs, ses orages, ses brouillards, ses cascades, ses crépuscules et ses aubes – autant de thèmes préromantiques –, elle provoque chez nous deux regards : le premier vise la contemplation d’une nature possédant mille beautés, spectaculaire, ou calme, une nature faite de merveilles – en témoigne la peinture Les Lavandières de François Boucher, où l’humain, au centre du tableau, tient le bon rôle et où la nature, dominée, se réduit à un beau décor. Le deuxième regard exprime de la méfiance : la nature n’est plus soumise comme elle peut l’être lorsque nous la contemplons ; elle devient libre, indépendante, sauvage, hors de portée de la domination humaine – rien de mieux que la peinture La Tempête de Joseph Vernet pour saisir cette dimension : des hommes échoués qui demeurent saisis de frayeur devant le naufrage de leur vaisseau géant.

    Il suffit d’admirer ces tableaux pour réaliser que la nature est un thème important pour les contemporains du XVIIIe siècle et pour les Lumières en particulier. Ces derniers ont évidemment produit de grands penseurs naturalistes – pensons à Buffon ou à Réaumur. Si la manière dont ces grands naturalistes perçoivent le rapport entre l’homme et l’animal est très connue et a fait l’objet de nombreuses recherches, il en va différemment d’autres penseurs, moins célèbres mais tout aussi importants. Charles-Georges Leroy (1723-1789), le naturaliste étudié dans cet article et souvent considéré comme le père de l’éthologie, est l’un d’entre eux. Naturaliste de son époque, il nous a légué d’intéressantes réflexions.

    Interrogeons-nous : quelle est sa représentation du rapport homme-animaux, donc de la nature ? En quoi est-elle déiste et traditionnelle ? Mais quelles sont également les modérations qu’il apporte à cette représentation déiste et qui, par conséquent, en font une pensée de transition ?

    Outil de notre recherche, son ouvrage de 267 pages intitulé Lettres sur les animaux, publiés en 1762. Mais en premier lieu, s’imposent, pour une meilleure compréhension, un rappel contextuel et une rapide présentation de l’auteur et de son oeuvre.

      >  Ⅰ? Contexte

    1. Contexte culturel : etat des lieux de la pensee naturaliste et etat des lieux du deisme

    Le XVIIIe siècle est souvent analysé comme le siècle du règne de la critique1) : critique de la religion, critique du pouvoir monarchique. Les sciences, dont celles de la nature, et dans lesquelles travaille notre auteur Charles-Georges Leroy, n’ont évidemment pas échappé à cette tendance générale ; sous l’impulsion des Lumières, elles ont vu leurs méthodes muter de manière importante : les fictions métaphysiques de l’âge précédent s’essoufflent ; peu à peu l’esprit de l’observation et l’expérimentation l’emportent 2) ; et les penseurs, qu’ils soient philosophes, écrivains ou naturalistes, à valoriser ce nouvel état d’esprit se révèlent nombreux : D’Alembert, Condillac, Buffon, Dumarsais, Fontenelle3)… Le nouvel héros n’est autre que le philosophe, l’homme même de la raison4).

    Tout au long du XVIIIe siècle, les sciences connaissent un immense essor, qui rejaillit sur la société. Dans le quotidien, d’abord : les objets mécaniques – telle que l’horloge (et l’on sait que Louis XVI s’adonnait à l’horlogerie pendant ses loisirs !) – sont à l’honneur, tout comme les automates ou les marionnettes5). Au niveau institutionnel, ensuite : petites soeurs des académies nationales, les académies provinciales se multiplient (une vingtaine entre 1715 et 1760), dispensent des enseignements scientifiques (mathématiques, physique, chimie, botanique) 6) et participent à ce nouvel état d’esprit scientifique. Au niveau culturel, la production de livres scientifiques, en particulier ceux qui vulgarisent la science, explose aux dépens des livres religieux7). Et au niveau national, de grands penseurs scientifiques font parler d’eux : Maupertuis, Buffon, Guettard, Daubenton, Réaumur… Partout, les sciences s’étendent et ce, même dans des domaines insoupçonnés : Montesquieu fonde une « science des sociétés8)», Condorcet lui-même réfléchit à des « sciences humaines », et Helvétius a le projet de construire une science de l’Homme9).

    Les sciences naturelles – qui nous intéressent ici en raison de notre auteur Charles-Georges Leroy – n’ont pas échappé à cette transformation générale. Multiples sont les réformateurs de cette discipline scientifique. Pour commencer, le plus fameux peut-être : Buffon (1707-1788) qui, ayant été intendant du jardin du roi, et avec sa monumentale Histoire naturelle et sa célèbre Théorie de la Terre, est fréquemment perçu comme le précurseur du transformisme10) et qui a eu pour collaborateur, pendant un certain temps, le fondateur de l’anatomie comparée, Louis-Marie Daubenton11).

    Le Suisse Charles Bonnet (1720-1793) pose également les premières questions menant à l’évolutionnisme 12) tandis que le scientifique et explorateur Maupertuis (1698-1755), en formulant la possibilité d’un transformisme, n’est pas en reste13). Hors de France, le Suédois Carl Linné (1707-1778) conçoit une classification naturelle par le biais de sa systématique binominale, à la suite de la parution de son Systema Naturae (1758) 14) – on sait que Buffon réfutera cette classification. De son côté, René-Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757), par ses Mémoires pour servir à l’Histoire des insectes, fonde l’entomologie et appelle à inventorier les insectes par plante et par milieu15). Tous ces grands noms concourent à une meilleure connaissance de la « Nature ».

    En dépit de ce contexte culturel précis, on ne peut éviter une question fondamentale, qui permettra à une meilleure compréhension de notre auteur : l’étude de la nature demeure-t-elle le seul apanage des scientifiques ? Répondre affirmativement serait méconnaître le XVIIIe siècle, un siècle où se concurrencent esprit de système et esprit systématique16) (notion abordée dans la partie II/2/). Par ailleurs, ce siècle voit des écrivains, tels Bernardin de Saint-Pierre (ancien ingénieur des Ponts-et-Chaussées, auteur des Etudes de la Nature), l’abbé Pluche (1688-1761) avec son Spectacle de la Nature, ou encore Rousseau, réfléchir aux sciences naturelles ; en effet, ce siècle marque parfois l’union originale entre création littéraire et pensée scientifique17) ; et ces écrivains et penseurs ont auprès de l’opinion autant d’impact que les véritables scientifiques d’esprit systématique (le succès du roman Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre l’illustre bien). L’étude de la nature ne se cantonne donc pas à la vision des seuls scientifiques.

    Autre point indispensable à éclaircir : au XVIIIe siècle, les frontières entre sciences et religion peuvent se brouiller ; les deux disciplines ne se contredisent pas forcément. S’il existe des anti-lumières catholiques18), ou à l’inverse des matérialistes athées purs comme pouvaient l’être un Diderot, La Mettrie, un Helvétius ou un d’Holbach19), une position intermédiaire, qui valorise Dieu mais aussi la raison, se dessine également : il s’agit du déisme20). Le déisme ne croit pas au Dieu des écritures (la révélation), il établit une position intermédiaire entre le théisme chrétien et l’athéisme21). Pour le déiste, la religion est avant tout une éducation ; il ne faut pas croire à la révélation de la Bible, ni aux superstitions, mais plutôt à la portée morale, à la vertu sociale – canalisatrice d’énergie –, de la religion22).

    A cet égard, Newton est représentatif du mouvement déiste : bien qu’il eût remis en cause l’idée de la Genèse biblique par sa découverte de la loi d’attraction universelle, tout au long de sa vie il continua de croire fondamentalement à Dieu et, même, l’exalta23). Le grand scientifique anglais n’est pas le seul des penseurs à avoir suivi ce cheminement intermédiaire : Voltaire, Rousseau, Montesquieu… autant de penseurs dignes de ce nom.

    De surcroît, renforçant davantage ce déisme, et cette position intermédiaire entre religion et sciences, il faut savoir que des Lumières chrétiennes ont existé24), et que des membres de l’Eglise ont été des scientifiques, botanistes, agronomes, médecins… L’abbé Chaix qui, dans le Dauphiné, a introduit la vaccine, en constitue une belle illustration25). Du reste, la figure du bon curé de province, utile comme intermédiaire culturel, est une image que les Lumières ont valorisée26).

    Autant de paramètres qui nous éclairent sur notre auteur, Charles-Georges Leroy, et sa pensée de teinte déiste – une pensée qui, comme on va le voir, fait intervenir de multiples dimensions, littéraires comme scientifiques, philosophiques comme historiques.

    2. Charles-Georges Leroy et son oeuvre

    a. L’auteur

    Dans la discipline des sciences naturelles, Charles-Georges Leroy (1723-1789) apparaît comme une personnalité de son époque. Lieutenant des chasses des parcs royaux de Versailles et de Marly, charge prestigieuse héritée à la mort de son père, c’était un homme respecté27). Le fait qu’il tienne une charge haute, auprès du roi de France, n’est guère anodin : elle nous fait supposer un personnage conformiste, qui croit en la royauté et qui a de grandes chances d’être croyant – du reste, la destinataire de ses lettres, une noble, la comtesse d’Angivilliers, épouse de Charles-Claude Flahaut de La Billarderie, alors maître de camp de cavalerie, charge militaire à haute responsabilité, et qui a reçu la croix de Saint-Louis28), conforte cette impression.

    Toutefois, un autre versant s’esquisse chez Charles-Georges Leroy lorsqu’on analyse ses relations : il était d’abord un disciple du sensualiste Condillac, et était ami de Diderot29), Rousseau, Buffon30) (l’un de ses adversaires intellectuels31)), des philosophes des Lumières (multiples références à ces auteurs dans son oeuvre32)), dont les positions envers la religion étaient divergentes : ainsi, si Diderot était matérialiste, Rousseau, en revanche, était déiste33).

    Autre indice de son ouverture aux Lumières et de sa sensibilité au nouvel état d’esprit qu’il régnait, notre auteur a signé plusieurs articles à l’Encyclopédie, la plupart ayant trait à la nature ou au rapport entre l’homme et la nature : « Fermier », « Forêt », « Froment34) », « Instinct » ou encore « Homme (Morale) »35). Son autre oeuvre est ses Lettres sur les Animaux (1762) (que l’on trouve aussi parfois intitulées comme Lettres philosophiques sur la perfectibilité et l’intelligence des animaux) – texte ici analysé, et qui a reçu les éloges de Grimm.

    Par conséquent, on voit à ces différentes remarques que Charles-Georges Leroy semble tiraillé entre deux postures : la première est celle d’un homme aisé, qui officiait à Versailles dans un poste prestigieux (qui lui a probablement permis de rencontrer les rois Louis XV et Louis XVI), qui connaissait des nobles, un homme soucieux de ses devoirs, vraisemblablement conformiste ; lui répond une autre posture, celle d’un homme ouvert à la philosophie des Lumières, éclairé et ouvert aux lettres et aux sciences.

    Et sa postérité ? Quelle est-elle ? Si notre auteur demeure aujourd’hui inconnu du grand public par rapport à un Buffon, il a cependant le mérite de poser des questions originales, telles le comportement et l’intelligence des animaux – dans Lettres sur les animaux. D’où le titre de « père » de l’éthologie36) qu’on peut lui prêter.

    b. L’oeuvre

    Le texte étudié ici est Lettres sur les animaux. Paru pour la première fois en 1762 dans différentes gazettes, ces lettres se sont vues éditées comme ouvrage en 1781, ouvrage qui a été réédité tout au long du XIXe siècle (l’ouvrage analysé ici date de 186237)). Comme le suggère le titre, cet ouvrage de 267 pages est composé de différentes Lettres – d’une moyenne de 15 pages environ.

    Choisir comme genre la lettre n’est nullement anodin. En premier lieu, ce genre est représentatif de son époque : on sait que les Lumières privilégiaient la sociabilité par le biais de conversations38)(les salons de l’époque en sont le lieu d’expression privilégié) ; et que, dans cette logique, la correspondance est le prolongement écrit de ce loisir oratoire39). En deuxième lieu, la lettre permet une certaine liberté d’esprit que les autres genres littéraires n’autorisent pas forcément : ici, point de recherche esthétique, point de conventions liées à l’étiquette ou à la rhétorique40). En dernier lieu, c’est le genre idéal pour l’argumentation, l’échange d’idées et les spéculations intellectuelles ou philosophiques, précisément de ce quoi débat notre auteur. Ajoutons que la lettre compose un sous-genre relevant de l’essai41).

    Les thèmes traités par cet ouvrage concernent principalement :

    a) des questions naturalistes se rapportant aux animaux et à leur environnement : par exemple, « Sur la nature des carnivores », « Sur la manière d’étudier les animaux », etc. ;

    b) des questions plus générales, ayant trait au rapport entre l’homme et la nature, ou l’homme et les animaux : par exemple, « Sur la bonté ou compassion », « Sur les besoins et les dispositions naturelles de l’homme », etc.

    Autant d’idées se rapportant à la nature, qui ont pour principal souci d’argumenter sur l’intelligence des animaux et leur sensibilité (des thèmes qui, largement étudiés dans d’autres articles, ne seront qu’entrevus ici), mais qui nous permettent, par le biais de l’analyse, de réfléchir à la manière dont un intellectuel déiste et naturaliste des Lumières perçoit la place de l’homme dans la nature et de son rapport avec les animaux.

      >  Ⅱ?Une conception deiste du rapport homme /animal ancree dans l’air du temps…

    1. Dans la nature, l’homme est superieur aux animaux

    Analysons maintenant comment Leroy aborde la place de l’homme par rapport aux animaux, sujet qui revient plusieurs fois dans son ouvrage : « En considérant seulement une partie de ce qu’est l’homme (…), nous reconnaîtrons la place distinguée qui lui est assignée par l’auteur [Dieu] de la nature. Ses avantages réels sont assez brillants pour établir par eux-mêmes sa supériorité42) ». Constat qui se répète : « Quand nous aurons reconnu dans les animaux des avantages qu’ils partagent avec nous, l’homme n’en restera pas moins au rang que Dieu lui a assigné dans l’immensité de ses ouvrages43) ». Même pensée dans son article « Homme » de l’Encyclopédie : l’homme, de par « la supériorité de ses moyens », est « le roi de la nature »44). Pour lui, nul doute : l’homme, situé en haut de la pyramide des espèces animales et végétales, est supérieur aux animaux. Une vision traditionnelle et déiste de la nature qui, au XVIIIe siècle, n’a rien d’original et s’inscrit dans une longue tradition.

    Cette tradition est en premier lieu biblique (texte de la Genèse, 1, 26-3145)) : l’être humain, qui domine la nature, se trouve lui-même placé sous la domination de Dieu46). Dans sa perception de la nature, le Moyen Âge s’inspirera beaucoup de la scala naturae (la chaîne des êtres vivants, dite aussi l’échelle des êtres) d’Aristote où l’homme, rattaché à la nature, demeure supérieur à tous les animaux ; Saint-Thomas d’Aquin lui-même écrira que l’homme tient sa supériorité de sa raison et de son intelligence, autant d’avantages qui font que l’homme est l’image de Dieu sur Terre47).

    Certains auteurs, sans renier cette supériorité fondamentale, se plaisent à la détailler : Pic de la Mirandole fait de l’homme un « caméléon » capable de s’adapter à tous les états, apte à devenir « plante » comme « âme céleste, fils de Dieu48)». Néanmoins, jamais n’est remise en cause la supériorité de l’homme sur les animaux et encore moins le lien particulier unissant Dieu et l’homme. Deux idées fondamentales, originellement religieuses, que partage Leroy.

    Bien entendu, cette vision de l’homme dominant se poursuivra au XVIIe siècle : pour le philosophe Pascal, l’identité humaine est disproportionnée dans le sens où cohabitent en lui « le fini et l’infini, le parfait et l’imparfait49) », un « milieu entre rien et tout50)». Même au XVIIIe siècle, le grand naturaliste Buffon, pourtant révolutionnaire sur d’autres points, ne conteste pas ce postulat : « l’empire de l’homme sur les animaux est un empire légitime, qu’aucune révolution ne peut détruire » écrit-il51). Une vue que partage La Mettrie, pour qui l’homme est le « roi des animaux »52). Si d’autres auteurs, tel D’Holbach, attaquent cette assertion53), la posture de Leroy, partagée par une majorité, affirme à vrai dire son époque, et une tradition, qui remonte au Moyen-Âge.

    Cependant, à la lecture de cette vérité émerge une question centrale : qu’est-ce qui, selon Leroy, différencie l’homme des espèces animales et végétales ? Divers arguments sont avancés dans son ouvrage : en premier lieu, l’homme possède la technique54) - argument suggéré par l’héritage gréco-romain et judéo-chrétien55) ; ensuite, l’homme à une capacité à compatir56) ; puis l’homme a également le désir, sentiment inconnu des animaux57) ; de surcroît, l’homme a la raison58) - critère que donne par ailleurs Buffon59), critère de marque déiste60). Enfin, pour Leroy, l’homme possède un lien fondamental avec la société : non seulement, cette dernière lui enlève sa « naturalité61) », mais en outre, elle enfante chez lui des « passions factices62) » - notre auteur entend par là un ensemble d’attitudes sociales, comme le sens des conventions, l’arrogance, la vanité, la volonté de briller en société, l’oisiveté, l’appétit. Du reste, on peut rapprocher cette dernière pensée d’une vision rousseauiste (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755) d’une société corruptrice, qui enlèverait la bonté et la pitié inhérentes à l’homme naturel63) (point de nouveau abordé dans la partie III/ 2.), vision d’un Rousseau par ailleurs déiste. Autant de critères qui constituent la supériorité de l’homme par rapport aux animaux pour notre auteur.

    2. Un ordre naturel determine par Dieu, heritier d’une longue tradition

    Outre sa vision qu’elle accorde à l’homme dans la nature, la pensée de Leroy dévoile également son déisme par sa représentation de l’ordre naturel : à l’image de nombreux auteurs du XVIIIe siècle, elle y introduit du providentialisme. Leroy, en effet, en bon déiste, croit en Dieu, et ne s’en cache pas. Pour lui, Dieu, le suprême architecte de l’univers, a créé cette merveille qu’est la nature : « Il a plu au souverain Être [Dieu] d’organiser et de faire vivre des animaux sans nombre, dont les uns sont destinés à brouter l’herbe et à n’avoir besoin que d’un petit nombre de faits pour toutes connaissances. Il a voulu que quelques autres fissent leur nourriture d’une proie fugitive (…). Apparemment que Dieu a voulu qu’ils fissent ce qu’ils font, et ce n’est pas à nous à en savoir davantage64) ». Maintes fois, cette référence à l’architecte suprême se signale dans son ouvrage65), et rappelle d’autres conceptions déistes, telles celles d’un Newton ou d’un Voltaire66), ou encore du penseur déiste Clarke, qui affirmait « croire à l’existence d’un Etre unique, Eternel, Infini, Intelligent, Tout-Puissant et Tout-Sage, Créateur, Conservateur et Monarque Souverain de l’Univers67) ».

    Au-delà de cette prédominance de Dieu apparaît dans la citation précédente l’idée de l’échelle de la nature, la scala naturae fondée par Aristote. Là encore, Leroy n’est pas le seul à partager cette vision : le protestant Louis Bourget, Charles Bonnet68) pour ne citer quelques noms, la pensent également, et font montre d’un certain traditionalisme. Par contre, cette pensée s’oppose à celle d’un Buffon qui réfute une nature ordonnée par le Créateur 69) et qui doute sérieusement de la création des espèces par Dieu en un seul jour70). De même s’oppose-t-elle radicalement à celle, matérialiste, d’un La Mettrie, qui refuse une telle division, et qui insiste sur la dynamique du vivant71).

    Le caractère traditionnel qui ressort de la vision de Leroy n’infirme pas pour autant sa cohérence et sa force, pour ne pas dire son « système ». Effectivement, il est frappant à la lecture de son ouvrage de le voir s’adonner à de multiples spéculations en faisant appel à Dieu, et de privilégier des déductions bien plus que l’expérience ; on le voit davantage en philosophe naturel, membre de la « bohème scientifique », qu’en biologiste de cabinet, comme un Buffon, traquant les détails, décrivant minutieusement et utilisant les mathématiques.

    A la même époque, D’Alembert différenciait esprit de système et esprit systématique72) ; si le premier tentait d’expliquer l’univers par de grandes hypothèses (ici l’intelligence des animaux et leur âme) insuffisamment prouvées, le second faisait appel à une démarche strictement scientifique, quantitative, réfléchissant à des « lois naturelles » ; si le premier réfléchissait sur « le devenir plutôt que l’être », le deuxième appréhendait la nature d’un point de vue statique, avec un regard mécaniciste73). A la lecture de Lettre sur les animaux, et les raisonnements philosophiques qui en émanent, on peut penser que Leroy était davantage dans l’esprit de système – l’usage de raisonnement comme moyen de connaissance74) et sa vision de la chaîne des êtres héritée d’Aristote le prouvent – que dans un esprit de systématique (un Buffon pour qui la nature n’avait aucun ordre et qui encourage à l’expérience strictement scientifique75), en somme un savant « sans esprit de système76) »). Ajoutons que le fait d’accorder une grande part à Dieu favorise logiquement l’émergence d’un système.

       3. Un Dieu omnipresent dans la nature

    Leroy révèle également son déisme en percevant dans la nature de multiples signes du divin ; au contraire d’un Buffon d’esprit systématique pour qui la Création n’est point un fait scientifique et qui cherche à expliquer, voire à mathématiser la nature, notre auteur interprète les intentions de Dieu dans la nature et chez les animaux77) : « Tous ces différents ordres d’êtres intelligents et agissants servent à l’ornement de l’univers ; et, en cédant chacun à ses affections particulières, ils concourent au dessein inconnu pour nous de celui [Dieu] qui les créa pour sa gloire78) ». Dans ce contexte, ne nous étonnons pas de le voir invoquer la métaphysique79), fondatrice même de la logique de système, évoqué précédemment.

    Au demeurant, ce sont là des points communs partagés avec Bernardin de Saint-Pierre ; en effet, à l’image de notre auteur, cet écrivain se révèle providentialiste et voit le monde comme un tout, un système créé par Dieu80). Cette vision sacrée s’exprime également dans la méthode que prônent les deux hommes pour avoir une meilleure connaissance de la nature : à l’opposé d’un scientifique qui resterait dans son cabinet (par exemple, Buffon), Leroy conseille de faire un travail de terrain pour bien comprendre les animaux81) ; Bernardin de Saint-Pierre, de son côté, appelle à pratiquer des activités quotidiennes avec la nature, comme le travail agricole ou l’herborisation82).

    Cette vision particulière d’une nature réceptrice de signes du divin évoque aussi celle de Rousseau, penseur qui, comme l’on sait, a influencé notre auteur : « J’aperçois Dieu partout dans ses oeuvres ; je le sens en moi, je le vois autour de moi » écrit-il ainsi dans l’Emile83). Ajoutons que le grand philosophe établit lui aussi un système84) et dévoile une approche de la nature similaire à celle de Bernardin de Saint-Pierre, faite d’activités : on sait, en effet, que le grand philosophe aimait herboriser85)…

    Au-delà de ces constats, le concept déiste de Leroy accorde une place centrale à l’idée d’ordre et c’est ce qui fait qu’elle souffre de conservatisme d’un point de vue scientifique ; on sait en effet qu’après 1750, dans la révolution du naturalisme qui se fait jour, la Nature n’est plus conçue comme un « Ordre » issu de la théologie mais une puissance dynamique, qui éclipse la Divinité, qui possède des lois et qui a une faculté créatrice86).

       4. Decrire, contempler : une attitude particuliere a l’egard de la nature

    De même, Leroy prône-t-il dans son texte une attitude traditionnelle qui marque un certain déisme. Tout d’abord, cette attitude se dévoile dans sa manière de décrire la nature et de l’observer (rappelons que Rousseau était sensible à cette dernière dimension87)). Effectivement, Leroy se plaît à énumérer, de manière romancée, pleine de vie, une série d’actions produites par l’animal, comme ici la fuite d’un cerf : « Il [le cerf] a remarqué qu’il était trahi par les traces de ses pas, et que la poursuite s’y attachait constamment : pour dérober sa marche, il court souvent en ligne droite, revient sur ses voies et, se séparant ensuite de la terre par plusieurs sauts consécutifs, il met en défaut la sagacité des chiens, trompe l’oeil du chasseur et gagne au moins du temps88) ».

    Nous devons constater la fiction, la vie, le mouvement qui émanent de cette description. Ce style particulier s’explique par le fait que Leroy est un homme de son époque : comme Buffon, avec sa célèbre description de l’éléphant, il cède souvent à l’anthropocentrisme89) et comme Buffon l’écrivain, il a le souci de ne pas ennuyer ses lecteurs90).

    Mais cet art de la description n’est point neutre : elle suggère une posture intellectuelle précise, qui préconise la contemplation de la nature ; d’après notre auteur, l’homme doit savoir en saisir les beautés secrètes, ne pas se contenter de la froide analyse, purement démonstrative, et doit se garder de la juger. Il faut savoir apprécier la nature, la prendre telle qu’elle est : « Toutes les fois qu’avec notre faible raison, nous voudrons déterminer ce que doit faire l’auteur de la nature [ici Dieu], nous courrons risque de conclure de manière absurde. Nous pouvons observer et admirer ce qu’il [Dieu] a fait, mais il y a plus que de l’extravagance à vouloir juger de ses vues et pénétrer dans ses desseins91) » écrit Leroy92). Vision qui se différencie de celle exposée par René Descartes dans le Discours de la méthode93), où le célèbre philosophe considère davantage la nature comme un vaste réservoir de matériaux, utilisables à souhait, que comme un objet digne de contemplation94) (ce qui a engendré au XVIIe siècle une véritable révolution « utilitariste » dans la conception de la nature95)).

    Mais revenons à la posture de Leroy : là encore, celle-ci suggère Rousseau, un Rousseau qui aime pareillement « contempler » l’oeuvre de la nature 96) et qui déclare dans l’Emile l’importance de cette posture pour l’éducation – elle permettrait aux humains d’acquérir une sensibilité indispensable pour s’humaniser97) (l’Emile). Une vue, du reste, qui rejoint celle de Bernardin de Saint-Pierre dont les descriptions éveillent pareillement la sensibilité98).

    Notons enfin que cette attitude prêchée par notre auteur s’inscrit dans une tradition qui sait s’émerveiller de la nature et qui la considère comme un « écrin » (de Virgile avec ses Bucoliques à Du Bellay avec ses Regrets en passant par Ronsard99)).

    5. Les animaux aussi ont une ame

    L’un des autres signes de la conception déiste de la nature de Charles-Georges Leroy réside dans la position qu’il adopte dans la querelle de l’âme des bêtes100) - un débat du XVIIIe siècle qui s’interroge sur le fait que les animaux puissent oui ou non avoir une âme. Derrière cette querelle d’apparence érudite se dessine en réalité une autre, beaucoup plus importante : la lutte entre la religion et l’athéisme. En effet, cette querelle voit s’affronter deux camps : les partisans de l’âme des animaux et les héritiers cartésiens de l’idée que les animaux seraient des « machines » sans âme ; effectivement, en remettant en cause l’âme des animaux, ces derniers tendent vers le matérialisme – une philosophie qui s’arrête avant tout à la matière, qui rejette à la fois Dieu et l’âme101), et s’oriente en conséquence vers l’athéisme.

    D’emblée, dès les premières pages de Lettres sur les animaux, Leroy se révèle en partisan de l’âme des bêtes puisqu’il critique ces matérialistes rampants en les nommant « partisans de l’automatisme des bêtes102) ». Pour les attaquer plus efficacement, il cite René Descartes103) - René Descartes qui, dans Discours de la méthode104), a suggéré l’idée que les animaux ne seraient que des « machines » dénuées de toute sensibilité et d’âme. Cette thèse sera connue comme celle des « animaux-machines105) » et elle aura des héritiers au XVIIe siècle – pensons à Malebranche106) - ainsi qu’au XVIIIe siècle.

    L’un d’entre eux est le naturaliste Louis-Marie Daubenton ; l’article « Animal » qu’il signe dans l’Encyclopédie est révélateur de son adhésion à courant de pensée : tout d’abord matérialiste et mécaniste107) (il reprend la mécanique cartésienne), il critique explicitement l’idée que les animaux auraient une âme108). Autre adepte de cette école de pensée : Buffon. Après l’avoir cité109), Leroy n’hésite pas à s’en prendre directement à la théorie de la mécanicité des bêtes : « Quoi ! (…) le phénomène [celui qui créé la sensation, à la base selon Leroy de l’intelligence des animaux] une fois donné, nous en connaissons les produits, et il me paraît impossible de les confondre avec des résultats de mécanique, quelque multipliés qu’on les suppose110) ».

    Au passage, Leroy affiche sa posture, traditionnelle (une philosophie anticartésienne de la nature 111)), à laquelle adhère un Réaumur112) : pour lui, les animaux ne sont pas de simples mécaniques. Leroy adhère-t-il donc à l’idée que les animaux auraient une âme ? Dès le début de son ouvrage, il approuve cette idée tout en s’interrogeant sur la nature de cette âme : « Nous ne saurons jamais, sans doute, de quelle nature est l’âme des bêtes (…). Que l’âme des bêtes soit immatérielle ou non, il est toujours certain qu’elle ne peut jamais avoir la destination glorieuse qui est réservée à la nôtre113) ».

    Du reste, d’autres penseurs accordent une âme aux animaux ; l’Encyclopédie elle-même contient l’article « âme des bêtes » rédigé par l’abbé Yvon ; David Renaud Boullier a écrit un essai sur la question114) et Rousseau adhère à cette idée, bien qu’insistant sur les limites de cette âme115). Cependant, le terme « âme » n’étant pas anodin, nous pouvons prêter aux partisans de cette théorie une certaine foi religieuse. De même, l’article très religieux « âme des bêtes » de l’Encyclopédie a-t-il été écrit par un religieux, l’abbé Yvon. Une idée, par conséquent, qui renforce la thèse d’une conception déiste de la nature chez Leroy.

      >  Ⅲ?Les moderations qu’apporte Leroy a son deisme

    On a vu dans la partie précédente les différents aspects qui participent au déisme de Leroy : l’idée d’un ordre organisé par Dieu, suprême architecte de l’univers, la volonté d’observer et d’interpréter tous les signes du divin dans la nature, l’appel à la contemplation de la nature, et en dernier lieu, l’argument de Leroy que les animaux auraient une âme. Cependant, ce déisme typique des Lumières se voit modéré et contredit. Ces aspects vont maintenant être abordés.

    1. L’homme, cet animal qui n’est pas comme les autres

    La première modération que Leroy apporte à son déisme et qui révèle une certaine modernité dans sa pensée est sa vision – très biologisée – de l’homme : si celui-ci est supérieur aux animaux, il demeure avant tout un être qui se classe dans la catégorie des animaux (« Nous ne parlerons point ici de notre forme extérieure, ni de l’organisation qui nous range dans la classe des animaux116)»), membre de « l’espèce humaine117) ». Or, cette réflexion qui vise à limiter l’homme dans la nature est également partagée… par Diderot 118), pourtant apôtre du matérialisme (et opposé sur bien des points avec la pensée déiste de Leroy) –, Buffon et bien d’autres119) comme La Mettrie, penseur fondamental pour le matérialisme120).

    C’est ici une idée très importante qui engendre un nouveau paradigme ; l’homme, cet animal, peut être étudié d’un point de vue biologique, et non comme un « être » supérieur ; dès lors, en raison de son animalité, l’homme doit être étudié au sein de son environnement, et il devient nécessaire de réfléchir à ses restrictions biologiques mêmes, que subissent les autres animaux : « Tous les animaux sont forcés d’obéir aux dispositions qui résultent de leur constitution propre, et aux différents rapports que leur nature et leur position leur donnent avec tous les êtres qui les environnent121) » médite Leroy. Ce nouveau paradigme détruit toute la vision métaphysique antérieure de la nature, conçue par la religion122), qui prônait par exemple l’échelle des êtres – par conséquent, voici une modération importante que notre auteur apporte à son déisme.

    Il faut dire que l’usage de ce nouveau paradigme ouvre des perspectives inédites : en rapprochant la réalité biologique de celle politique, Leroy établit un raisonnement de nouveau type, propre aux Lumières les plus avancées : déterministe (comme la célèbre théorie des climats de Montesquieu) et anthropologique123), comme le démontre la citation qui suit : « Mais de toutes les idées qui affectent généralement les hommes (…), celles qui portent le plus constamment l’empreinte d’une nature uniforme, ce sont les idées religieuses. (…) L’homme est un animal adorateur (…). Ces causes lui sont inconnues, mais leur influence vivement ressentie porte naturellement l’homme grossier à une vénération machinale et indéterminée124) ». Une analyse qui n’est pas sans rappeler celle de Buffon, rival qui ne cessait de remettre l’homme dans une perspective environnementale125).

    Leroy enrichit cette vision moderne de l’homme-animal soumis à son environnement d’une approche rousseauiste. Du grand philosophe, il reprend la fameuse idée de « l’état naturel », qui précéderait « l’état social », et la transformation morale négative de l’homme (orgueil, corruption, vice…) : « C’est souvent en vain qu’on recherche dans l’homme civilisé l’homme primitif et naturel (…) Dans la société, presque tous nos besoins se dénaturent au point de devenir méconnaissables (…) On pourrait conclure que l’état social tend à dépraver l’homme126) ». Toutefois, à cette idée rousseauiste d’état naturel, il étaye des arguments biologiques, en particulier lorsqu’il traite la question des peuples primitifs et de leur rapport avec la religion et l’autorité127) : ainsi, « La royauté est encore le gouvernement le plus ordinaire parmi les sauvages (…) Je ne parle pas de la puissance paternelle établie chez un grand nombre de peuples. Elle paraît conforme à la nature128) ».

    En bon intellectuel des Lumières, avec modernité, Leroy pense par conséquent l’homme d’un point de vue biologique et anthropologique. Cependant, cette vision n’est pas sans danger : en entrevoyant l’homme dans ses limites biologiques, nous ne sommes pas loin d’une conception matérialiste niant Dieu, partagée par un Diderot. Nous constatons donc un affaiblissement substantiel de son déisme.

    2. L’appel a un travail de terrain

    Leroy tempère également son déisme par sa méthode d’étude des animaux : il appelle à les observer sur le terrain même, aux côtés des chasseurs129) (il n’hésite d’ailleurs pas à railler un Buffon sédentaire, enfermé dans son cabinet de travail130)). Certes, il n’a pas la rigueur scientifique d’un Buffon ni son « esprit systématique », mais conseiller de faire une étude en pleine air des animaux (pour lui, le parc royal de Versailles) apparaît comme une démarche moderne, empirique131), presque lockéenne, digne d’un vrai naturaliste : de quoi contredire des représentations (Dieu en est une) par le biais de l’expérience (l’empirisme)132). Ajoutons que cette méthode oblige à considérer l’animal dans son environnement.

    Cet empirisme, tôt ou tard, peut se retourner contre la vision déiste de la nature précédemment formulée car elle pousse, par son contenu même, à nier Dieu par le processus de l’expérience.

    3. De l’ame a l’intelligence des animaux

    Revenons à la pensée déiste de Leroy concernant les animaux : ceux-ci auraient une « âme ». Mais curieusement, Leroy utilise peu fréquemment ce terme dans son ouvrage – moins d’une dizaine de fois. Il n’y a guère qu’au début qu’il s’attache à préciser ce concept, mais par la suite, il donne l’impression d’esquiver la question.

    En réalité, semble se substituer à la place l’affirmation que les animaux seraient capables de penser et de réfléchir. L’anthropomorphisme, dont il use abondamment, le prouve : ici, le loup, avec son « caractère moral » peu « intéressant133) », le renard avec « sa tendresse pour sa famille134) », le cerf et ses « affections sociales, leurs haines (…) passagères135) », les lapins « dont l’idée de propriété est certaine136) » (sic), « les bêtes » et leurs « passions naturelles (…) [leurs] désirs ardents de l’amour, la tendresse maternelle137) ». Outre ces termes en principe utilisés pour des réalités humaines, Leroy, pour démontrer la capacité des animaux à penser, imagine leurs idées, comme ici, avec le cerf138).

    L’autre signe de l’intelligence chez les humains se distingue par leur capacité à créer des sociétés organisées. Il en va peut-être de même pour les sociétés animales, pense Leroy, et il évoque la question des lapins, aptes selon lui à « vivre en société », au contraire des frugivores139). Autres preuves de l’intelligence des animaux, l’énonciation (tout en usant l’anthropomorphisme) des aptitudes intellectuelles des animaux : comme les humains, ces derniers possèdent un « langage » avec des « intonations » ; ils peuvent « parler140) », « compter141) », avoir « des idées abstraites142) », avoir de la « mémoire » ; ils savent « comparer » 143). Autant d’aspects qui démontrent une intelligence animale – on voit d’ailleurs comment Leroy utilise l’anthropomorphisme pour réfléchir scientifiquement à la psychologie animale144).

    Autre marqueur de l’intelligence animale : la sensibilité animale : « Je dis, monsieur, que les bêtes sentent comme nous (…). Celui qui pourrait entendre, sans être ému, les cris plaintifs d’un animal, ne serait pas fort sensible à ceux d’un homme »145) - il faudra attendre la Terreur, pendant la Révolution française, pour voir cette question surgir dans le débat public146). Tous ces arguments font que Leroy ne peut que s’opposer aux partisans des animaux-machines qui, comme on l’a vu, réfutent l’idée que les animaux peuvent penser (partie II/5/).

    Malgré tout, une question subsiste : pourquoi cet emploi si peu fréquent du terme « âme » ? En réalité, Leroy a peut-être des raisons de trouver ce terme embarrassant, enfermé comme il est dans une réalité strictement religieuse. C’est que notre auteur paraît cultiver une certaine ambivalence : on l’a d’abord notée avec sa conception de l’homme, cet « animal », conception entrevue d’un point de vue biologique, non simplement religieuse, conception qui trahit une certaine tentation du matérialisme. On le voit aussi dans sa collaboration un peu paradoxale dans l’Encyclopédie : adroitement, notre auteur n’y a rédigé que la partie « Morale » de l’article « Homme », tandis que celui-ci comporte deux autres parties : une intitulée « Histoire naturelle » rédigée par Diderot, l’apôtre en personne du matérialisme, et une autre « Exposition anatomique du corps de l’homme ») où les vues matérialistes foisonnent147).

    Cette ambivalence à l’égard de la religion – et qui constitue précisément le paradoxe du déisme – paraît dès lors s’exprimer dans son concept d’« intelligence animale ». Celui-ci s’avère plus commode pour Leroy : il permet une certaine sécularisation qui n’est pas présente dans « l’âme », terme très religieux. Mais surtout, il permet de dépasser la querelle âme des bêtes / animaux-machines148) et l’autorise à aborder scientifiquement de nouvelles problématiques, comme la psychologie animale (les capacités intellectuelles des animaux et leur sensibilité) – tout un champ d’investigation qu’auparavant, seul le terme « âme » osait explorer.

    De la sorte, ce concept d’intelligence animale pourrait être entrevu comme un concept intermédiaire entre la religion (un concept héritier de « l’âme des bêtes ») et une modernité aux tentations matérialistes (une réflexion sur la pensée des animaux par le biais d’un travail de terrain, de type naturaliste et empirique). D’une certaine manière, il exprimerait la transition qui se fait jour au XVIIIe siècle : le passage d’une vision divine, déiste de la nature à une vision plus naturaliste, « à l’intuition matérialiste149) ». Voici une dernière réserve, très importante, que Leroy apporte à son déisme.

    1)Antoine de Baecque, Françoise Mélonio, Lumières et liberté, Editions du Seuil, Paris, 2005, p.11.   2)Ibid., p.64.   3)Ibid., p.244. Michel Launay, Georges Malhos, Introduction à la vie littéraire du XVIIIe siècle, Bordas, Paris, 1969, p.35-36.   4)Olivier Chaline, La France au XVIIIe siècle, 1715-1787, Belin supérieur, Paris, 1996, p.99.   5)Antoine de Baecque, Françoise Mélonio, op.cit., p.175.   6)Olivier Chaline, op.cit., p.115.   7)Daniel Roche, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1993, p.456-457.   8)Jean Renaud, La littérature française du XVIIIe siècle, Armand Colin, Paris, 1994, p.55.   9)Jean-Jacques Tatin-Gourier, Lire les Lumières, Dunod, Paris, 1996, p.41.   10)Yves Laissus, Buffon, La nature en majesté, Découvertes Gallimard Sciences et techniques, Paris, 2007, p.89.   11)Jean-Loup d’Handt, Histoire de la zoologie, Ellipses, Paris, 2006, p.63.   12)Jean-Loup d’Handt, op.cit., p.59.   13)Michel Charpentier, Jeanne Charpentier, Littérature XVIIIe siècle, textes et documents, Nathan, Paris, 1987, p.232.   14)Ibid., p.52.   15)Jacques d’Aguilar, Histoire de l’entomologie, Delachaux-Niestlé, Paris, 2006, p.55.   16)Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, L’échappée, Paris, 2011, p.372.   17)Michel Charpentier, Jeanne Charpentier, op.cit., p.232.   18)Olivier Chaline, op.cit., p.107-108.   19)Ibid.   20)André Zusberg, La monarchie des Lumières, 1715-1786, Editions du Seuil, Paris, 2002, p.429.   21)Henry Duméry, « Déisme » in Encyclopedia Universalis.   22)Antoine de Baecque, op.cit., p.71.   23)Jean Goldzink, XVIIIe siècle, Bordas, Paris, 1988, p.37.   24)Ibid., p.109.   25)Antoine de Baecque, Françoise Mélonio, op.cit., p.72.   26)Ibid., p.71.   27)Marion Thomas, « Analyses d’ouvrages », in Revue d’histoire des sciences, 2008, Tome 61, p.220.   28)Centre de recherche du château de Versailles (www.chateauversaillesrecherche- ressources.fr/)   29)Ibid.   30)Jacques Roger, Buffon, un philosophe au jardin du roi, Fayard, Paris, 1989, p.449.   31)Ibid., p.370.   32)Charles-Georges Leroy, Lettres sur les animaux, 4e édition, Editions Poulet-Malanis, Paris, 1862, p.193-195, p.11, p.92, p.223. Si Charles-Georges Leroy ne cache pas son admiration pour le grand naturaliste, il lui arrive quelquefois de critiquer violemment ses positions.   33)Jean Renaud, op.cit., p.57.   34)« Noms des personnes qui ont fourni des Articles ou des secours pour ce Volume, & les suivants », p.6, 7e volume, in L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Paris, 1751-1772, University of Chicago : ARTFL Encyclopédie Project.   35)Ibid., p.449.   36)Yves Thonnérieux, « Si on parlait d’éthologie ? Première partie : un chasseur nommé Leroy », Le Courrier de la nature, n°268, Mai-juin 2012, p.38-39.   37)Charles-Georges Leroy, op.cit., 267 pages.   38)Antoine de Baecque, Françoise Mélonio, op.cit., p.58.   39)Michel Delon, Pierre Malandain, op.cit., p.309.   40)Ibid., p.310   41)Michèle Narvaez, A la découverte des genres littéraires, Ellipses, Paris, 2000, p.151.   42)Charles- Georges Leroy, op.cit., p.131-132.   43)Ibid., p.101.   44)Le Roy Charles-Georges, « Homme », p.274, 8e volume, in L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Paris, 1751-1772, University of Chicago : ARTFL Encyclopédie Project.   45)Voici le texte : « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’il domine les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bêtes qui rampent à terre » (Luc Strenna, « L’homme et la nature », Courrier de la Nature n°254, mai-juin 2010, p.39).   46)William Leiss, The domination of nature, McGill-Queen’s University Press, 1994, p.31.   47)William Leiss, op.cit., p.32.   48)Frank Burbage, La nature, Flammarion, Paris, 1998, p.135.   49)Ibid., p.27.   50)Ibid., p.145.   51)Eric Sartori, Histoire des grands scientifiques français, d’Ambroise Paré à Pierre et Marie Curie, Plon, Paris, 1999, p.147.   52)Ann Thomson, « Les animaux plus que machines », Dix-huitième siècle, 2010/1, N°42, p.348.   53)Représentant de la philosophie matérialiste, D’Holbach rappelle que l’être humain est subordonné aux lois de la nature et qu’il ne peut en aucun cas s’en considérer comme supérieur : « L’homme est l’ouvrage de la nature, il existe dans la nature, il est soumis à ses lois, il ne peut s’en affranchir, il ne peut même par la pensée en sortir (…). Pour un être formé par la nature et circonscrit par elle, il n’existe rien au-delà du grand tout dont il fait partie, et dont il éprouve les influences » (Frank Burbage, op.cit., p.149).   54)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.140.   55)Luc Strenna, op.cit., p.40.   56)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.214-215: “Cette disposition est celle en vertu de laquelle tout homme qui en voit souffrir un autre, est affecté lui-même d’un sentiment de souffrance (…) ».   57)Ibid., p.143.   58)Ibid., p.219.   59)Eric Sartori, op.cit., p.146.   60)Jean Renaud, op.cit., p.56.   61)«C’est ainsi, monsieur, que, dans la société, presque tous nos besoins se dénaturent au point de devenir méconnaissables ; les passions même les plus actives perdent de vue leur objet naturel » (Charles-Georges Leroy, op.cit., p.152.)   62)Ibid., p.61.   63)Frank Burbage,.op.cit., p.63.   64)Ibid., p.102.   65)Par exemple, aux pages 13, 75, 228, 229, 50.   66)Jean Renaud, op.cit., p.56.   67)Michel Launay, Georges Mailhos, op.cit., p.19.   68)Jean Ehrard, L’idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle, Albin Michel, Paris, 1963, p.192.   69)Jacques Roger, op.cit., p.122.   70)Eric Sartori, op.cit., p.148.   71)Ann Thomson, op.cit., p.349.   72)Clifford D. Conner, op.cit., p.372.   73)Ibid., p.373-374.   74)Yves Laissus, op.cit., p.21   75)« Le seul moyen de connaître est celui des expériences raisonnées et suivies, car toutes les autres méthodes d’investigation n’ont jamais abouti » écrit Buffon (Yves Laissus, op.cit., p.21)   76)Daniel Roche, op.cit., p.20.   77)Jean Goldzink, op.cit., p.38.   78)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.75.   79)Après une longue tirade où il décrit les intentions secrètes du « souverain Être » de hiérarchiser l’univers animal, Charles-Georges Leroy écrit : « Et vous me demandez, à moi, pourquoi ces êtres-là ne font pas de beaux tableaux et des livres de métaphysique ? Apparemment que Dieu a voulu qu’ils fissent ce qu’ils font, et ce n’est pas à nous à en savoir davantage. » Charles-Georges Leroy, op.cit., p.102.   80)Ibid., p.380.   81)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.95.   82)Ibid., p.375.   83)Jean Renaud, op.cit., p.57.   84)André Charrak, « Nature, raison, moralité dans Spinoza et Rousseau », Revue de métaphysique et de morale, 2002/3, n°35, p.410.   85)Jeanne et Michel Charpentier, Littérature XVIIIe siècle, Livre du professeur, Nathan, Paris, 1988, p.325-326.   86)Jean Ehrard, op.cit., p.247.   87)Alain Couprie, La Nature : Rousseau et les romantiques, Hatier, Paris, Octobre 1985, p.8.   88)Charles- Georges Leroy, op.cit., p.43.   89)Jacques Roger, op.cit., p.371.   90)Ibid., p.365.   91)Charles- Georges Leroy, op.cit., p.100.   92)Il écrit aussi : « Que Dieu ait voulu mettre, ou non, une distance plus ou moins grande entre quelques-uns de ses ouvrages et les autres, ce n’est pas là mon affaire. Je me borne à admirer tout ce qu’il a fait pour sa gloire, et à lui rendre grâce de ce qu’il a fait pour moi » écrit Leroy (in Charles-Georges Leroy, op.cit., p.111).   93)Texte « Se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ».   94)Frank Burbage, op.cit., p.136.   95)William Leiss, op.cit., p.76.   96)Alain Croupie, op.cit., p.16.   97)Frank Burbage, op.cit., p.153-154.   98)Jean Renaud, op.cit., p.56.   99)« Je ne trouve point de plus digne homme à la Divinité que cette admiration muette qu’excite la contemplation de ses oeuvres, et qui ne s’exprime point par des actes développés » écrit Rousseau dans le Livre XII de Les Confessions, in Luc Strenna, « L’homme et la nature, ou comment l’homme occidental a pensé ses rapports à la nature », Le Courrier de la nature, n°253, Mars-Avril 2012, p.37-38.   100)Janick Auberger, Peater Keeting, op.cit., p.76.   101)Jean Renaud, op.cit., p.57.   102)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.84.   103)Ibid., p.113.   104)Texte « Se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ».   105)Eric Sartori, op.cit., p.76.   106)Luc Strenna, « L’homme et la nature », in Courrier de la Nature, n°254, mai-juin 2010, p.40.   107)« (…) que de forces, que de machines & de mouvemens sont renfermés dans cette partie de matiere qui compose le corps d’un animal ! » (Louis-Marie Daubenton, « Animal », p.468, 1er volume, in L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Paris, 1751-1772, University of Chicago : ARTFL Encyclopédie Project).   108)Ibid. Dans ce même article, Daubenton exprime aussi ses doutes sur l’intelligence des animaux : « C’est parce qu’ils ne peuvent joindre ensemble aucune idée, qu’ils ne pensent ni ne parlent, (…) qu’ils n’inventent & ne perfectionnent rien ».   109)« L’animal est au contraire un être purement matériel, qui ne pense ni ne réfléchit, et qui cependant, agit et semble se déterminer. Nous ne pouvons douter que le principe de la détermination du mouvement ne soit dans l’animal un effet purement mécanique, et absolument dépendant de son organisation » (Charles-Georges Leroy, op.cit., p.194).   110)Ibid., p.195.   111)Jacqueline Russ, op.cit., p.134.   112)Jacques Roger, op.cit., p.221.   113)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.8-9.   114)L’Essai philosophique sur l’âme des bêtes.   115)Janick Auberger, Peater Keeting, op.cit., p.75-76.   116)Charles-Georges Leroy, « Homme (Morale) », op.cit., p.274.   117)Charles-Georges Leroy, Lettres sur les animaux… op.cit., p.233.   118)Son article « Homme (Histoire naturelle) » dans l’Encyclopédie en témoigne.   119)Jean Renaud, op.cit., p.57.   120)Ann Thomson, op.cit., p.339.   121)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.236.   122)Ronald E. Purser, Changkil Park, Alfonso Montuori, “Limits to anthropocentrism: toward an ecocentric organization paradigm?” in Academy of management review, 1995, Vol.20, N°4, p.1058.   123)Marion Thomas, op.cit., p.222.   124)Ibid., p.244.   125)Michel Launay, Georges Malhos, op.cit., Bordas, Paris, 1969, p.103.   126)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.149, p.152 et p.156.   127)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.233-252 (dans cette partie, Leroy exprime sa modernité par une approche anthropologique de la politique et de la religion, avec cependant toutes les limites et les préjugés de son époque ; il semble en effet détourner l’idée de l’état naturel de Rousseau pour établir une hiérarchie de races entre « peuples sauvages » et « peuples civilisés »).   128)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.240-241.   129)Plusieurs fois, Charles-Georges Leroy regrette de ne pas pouvoir faire parler les chasseurs : « On les a jugées [les bêtes] sans les avoir suffisamment connues. Les chasseurs, qui observent parce qu’ils en ont mille occasions, n’ont pas ordinairement le temps ou l’habitude de raisonner ; et les philosophes, qui raisonnent tant qu’on veut, ne sont pas ordinairement à portée d’observer » (Charles-Georges Leroy, op.cit., p.95).   130)« (…) Je suis sûr que si M. de Buffon était aussi grand chasseur qu’il est grand philosophe (…) » écrit Leroy de manière ironique (Charles-Georges Leroy, op.cit., p.203).   131)Jean-Claude Bourdin, op.cit., p.361.   132)Edmond Ortigues, “Empirisme”, in Encyclopedia Universalis.   133)Charles-Georges Leroy, op.cit., p.26.   134)Ibid., p.30.   135)Ibid., p.41.   136)Ibid., p.48.   137)Ibid., p.129..   138)« Un chien, conduit par un homme, m’a plusieurs fois forcé de fuir et m’a suivi longtemps à la trace, donc ma trace lui a été connue : ce qui est arrivé plusieurs fois peut encore arriver aujourd’hui ; donc il faut qu’aujourd’hui je me précautionne contre ce qui est déjà arrivé. » Leroy poursuit cette pensée du cerf sur plus d’un paragraphe (Ibid., p.40).   139)Ibid., p.59.   140)Ibid., p.73.   141)Ibid., p.123.   142)Ibid., p.196.   143)Ibid., p.204-205.   144)Jean-Claude Bourdin, « L’anthropomorphisme de Charles-Georges Leroy chasseur et philosophe », in Dix-huitième siècle, 2010, n°42, p.366.   145)(Charles-Georges Leroy, op.cit., p.9).   146)Eric Baratay, « La promotion de l’animal sensible : une révolution dans la révolution », in Revue historique, 2012, n°661, p.143.   147)Dès les premières lignes, l’auteur, Petit, se lance dans une description de type matérialiste : « Ce corps, ainsi que celui de tous les autres animaux, est une machine très compliquée (…) ». Petit, « Homme (Exposition anatomique du corps de l’) », p.261, 8e volume, in L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Paris, 1751-1772, University of Chicago : ARTFL Encyclopédie Project.   148)Marion Thomas, op.cit., p.220   149)Jean Ehrard, op.cit., p.787.

    CONCLUSION

    La pensée du rapport entre les hommes et les animaux de Charles-Georges Leroy se révèle paradoxale.

    En premier lieu, elle se remarque par son déisme, trahissant chez cet auteur un homme de son siècle. La représentation du rapport homme-animal dénote une pensée traditionnelle : l’homme, supérieur aux animaux, domine la nature. Déiste, cette pensée l’est aussi par son « système », basée sur sa conception d’un ordre naturel, hiérarchisé, hérité de l’échelle des êtres d’Aristote, ordre statique, et divisé – une lecture de la nature qui diffère grandement de la vision d’un Buffon. Le déisme s’affirme ensuite dans l’attitude que Leroy prône vis-à-vis de la nature : il faut savoir la contempler, non la juger ; et l’on doit chercher dans la nature les signes du divin, une lecture adoptée également par Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. En dernier lieu, notre auteur affiche son déisme par le fait qu’il considère que les animaux aient une âme – une assertion défendue par des religieux de l’époque.

    Cependant, cette vision déiste du rapport homme-animal se voit mesuré par plusieurs arguments qui, paradoxalement, suggèrent un certain matérialisme chez notre auteur. Le premier argument se trouve être dans la vision de l’homme dans sa relation par rapport aux animaux : en reconnaissant l’homme comme un animal, c’est-à-dire dans ses limites biologiques et environnementales, Leroy esquisse une pensée novatrice et moderne aux relents matérialistes, mais fondatrice d’une science anthropologique. Le deuxième argument se signale dans son appel à un travail naturaliste de terrain, qui présente le danger de saper, par son expérience, les représentations du divin. Enfin, le troisième argument est son concept d’« intelligence » des animaux, qui semble traduire la volonté de dépasser l’idée, trop religieuse, d’« âme » des bêtes pour mieux la séculariser et de la sorte, l’enrichir.

    Tous ces arguments qui affaiblissent son déisme – autant de pendants masqués – nous montrent en conséquence que la pensée naturaliste de Leroy peut avant tout se concevoir comme une pensée de transition : héritée de la religion, elle se laïcise peu à peu, tout en faisant naître des questions véritablement modernes : l’éthologie, la science du comportement des animaux, est le produit même de cette contradiction.

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