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Le temperament des Anglais et la science:la pensee stereotypee de l’abbe Jean Bernard Le Blanc dans Lettres d’un Francois (1745) 영국인의 기질과 과학 : Lettres d’un Francois(1745)에 나타난 Jean-Bernard Le Blanc의 고정관념
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ABSTRACT
Le temperament des Anglais et la science:la pensee stereotypee de l’abbe Jean Bernard Le Blanc dans Lettres d’un Francois (1745)
KEYWORD
mouvement des Lumieres naissantes , pensee stereotypee , anglomanie en France , sciences positives , sciences et religion , theorie des climats , recit de voyages
  • Introduction

    « Que pensent donc les Français des Anglais ? ». Cette question, guerre de Cent Ans et mythe de la perfide Albion obligent, n’a cessé de hanter la mémoire collective des Français. On pourrait énumérer avec un plaisir évident les multiples pensées stéréotypées partagés par les deux pays, mais ce n’est pas l’objectif du présent article.

    Non, notre ambition vise plutôt à reconstituer la pensée stéréotypée d’un Français éclairé et cultivé, l’abbé Le Blanc, dans la période des « Lumières naissantes1) » (1715-1750) à l’égard des Anglais (et leur rapport particulier avec les sciences positives), et à réfléchir aux limites de cette représentation2).

    Une réflexion qui s’articulera autour de la problématique suivante:comment la relation entre Anglais et les sciences (positives et dures) est-elle perçue par l’abbé Le Blanc ? Pourquoi notre auteur, un homme des Lumières cultivé, privilégie-t-il l’approche d’un « tempérament scientifique proprement anglais » lorsqu’il traite du caractère anglais ? Et en quoi cette pensée stéréotypée trahit-elle les problématiques majeures des premières Lumières à l’égard des sciences dures et positives ?

    Notre analyse s’appuie sur l’ouvrage Lettres d’un François (1745) de l’abbé Le Blanc, un recueil qui possède plus de mille cent pages. Mais avant d’y pénétrer en détail, une mise en contexte ainsi qu’une rapide présentation de l’abbé Le Blanc et de son ouvrage s’imposent.

      >  Ⅰ? Generalites sur contexte, sur l’auteur et sur l’ouvrage

    1. Contexte historique

    Lettres d’un François, aussi intitulées Lettres de Monsieur l’Abbé Le Blanc, est publié en 17453), en pleine guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), qui voit la France lutter contre l’Angleterre depuis un an4) - au ⅩⅧe siècle, un conflit parmi d’autres entre les deux pays (guerre de Succession d’Espagne de 1701 à 1714, guerre de Sept ans de 1756 à 1763, guerre d’Amérique, de 1775 à 1783). En fait, au cours du ⅩⅧe siècle, on peut dire que le principal rival de la France a été l’Angleterre, à tel point que certains historiens français, comme Jean Meyer, parlent d’une « Seconde guerre de Cent ans » franco-anglaise, qui s’étendrait de 1685 à 18155). Les contentieux entre les deux grandes puissances sont de plusieurs ordres:économiques (affrontements autour du commerce international, domaine colonial et commerce triangulaire) et stratégiques (la gestion et l’agrandissement des grands ensembles coloniaux)6).

    Néanmoins, n’accordons pas trop d’importance à la date de publication ? qui tombe durant la guerre de Succession d’Autriche. Pour mieux saisir la psychologie de l’auteur, se concentrer sur la date de rédaction ? 1737-1738 d’après les historiens7) ? se révèle plus pertinent car le contexte d’avant-guerre différait entièrement. La France d’alors, placée sous le ministériat de Fleury, assurait « l’Entente cordiale », une alliance avec l’Angleterre entamée en 1716, et qui s’est poursuivie pendant longtemps sous la coupe du duo du cardinal Fleury/Walpole ? alliance qui symbolisait l’équilibre des traités d’Utrecht8). Par conséquent, au moment de la rédaction de Lettres d’un François, notre auteur séjournait dans une Angleterre alliée, ce qui peut expliquer que son ouvrage soit considéré comme « anglomane9) ». Pourtant, d’un point de vue historique, on ne peut nier que d’épineux problèmes (la question de l’allié espagnol, le problème de la guerre de Succession de Pologne) menaçaient l’Entente cordiale10) et annonçaient les années tournantes de 1740, qui allaient voir se multiplier les critiques à l’égard des Anglais.

    2. Contexte culturel et litteraire:de l’anglomanie a l’Autre

    Les années de rédaction (1737-1738) et de parution (1745) de Lettres d’un François se placent sans conteste dans la période des « Lumières naissantes », qui sera étudiée ultérieurement. Il est à noter qu’à l’époque les rapports pacifiques entre la France et l’Angleterre influencent la culture française et autorisent le concept d’anglomanie (proposés par les universitaires anglo-saxons) pour qualifier cette relation. En effet, ce terme créé par Fougeret de Montbron (1757), un auteur contemporain11), définit l’expression culturelle d’un grand intérêt pour l’Angleterre12).

    D’après les historiens, cette vague culturelle, qui touche aussi bien les récits philosophiques et les essais que les fictions (romans, nouvelles), et autres, se serait décomposée en trois phases:la première qui s’étendrait de 1734 à 1757, et qui dévoile une curiosité envers l’Angleterre, la seconde (1757-1770) qui se construit autour de l’imitation des Anglais, enfin la troisième (1770-1789), qui vise à naturaliser ce qui est anglais (que ce soit en terme d’institutions, de modes, d’habitudes, etc.)13). Notre étude, elle, se focalise avant tout sur la première phase, faite de curiosité, de récits de voyage et de réflexions sur l’Angleterre.

    Multiples sont alors les auteurs français à participer à ce mouvement culturel:Béalt de Muralt (Lettres sur les Anglois et les François, 1726), Bourdot de Richebourg (Mémoires de Wuillaume-Nortingham, ou le faux lord Kington, 1741), le comte de Caylus (« Les deux Anglois » in Œuvres badines, complettes, du comte de Caylus, 1745), l’abbé Danet (Avantures [sic] de Londres, 1751)14)… sans compter l’abbé Prévost qui mentionne les Anglais dans Mémoires d’un homme de qualité (1731)15). Mais surtout, parmi ces auteurs, va se distinguer Voltaire, avec ses Lettres philosophiques (1733). Il parviendra à modifier le regard des Français envers le peuple anglais ? à le rendre moins haineux et davantage respectueux16). Dans son sillage, d’autres grands philosophes, comme Montesquieu avec l’Esprit des lois17).

    L’œuvre de Jean-Bernard Le Blanc, elle, se situe indéniablement dans cette tendance. A l’instar de ces auteurs, il relève des aspects de la « spécificité anglaise » telle que la monarchie constitutionnelle et libérale, le particularisme religieux (le schisme anglican) ou encore les mouvements philosophiques, scientifiques et littéraires18).

    Si la lecture de Lettres d’un François amène à la juger immédiatement comme « anglomane », on peut aussi la ramener à la littérature de voyages, alors en plein essor. Le ⅩⅧe siècle est un siècle d’expéditions, d’excursions, le siècle qui a inventé « le Grand Tour », un siècle qui s’oppose sans ambiguïté à la stabilité prônée par le siècle précédent19). Pensons aux multiples voyages des philosophes, que ce soit Voltaire (Berlin), Diderot (Saint-Pétersbourg), et autres, mais n’oublions pas non plus les savants-explorateurs tels Charles-Marie de La Condamine (Pérou), de Maupertuis (Laponie) ou un Bougainville qui, ayant fait le tour du monde (Tahiti, les Malouines, le détroit de Magellan…) inspirera un Diderot (Supplément au voyage de Bougainville). Plus modestement, mais avec autant de réussite, songeons aux cartographes du roi, comme Sanson, Duval, Delisle, Buache, qui ont rendu l’espace français plus intelligible et ont aidé à une administration plus efficace20). Tout un ensemble qui, mêlant le succès des académies et des récits de voyages, les besoins d’administration de la marine, des colonies et les savoureuses rencontres entre voyageurs et géographes, donne lieu à une géographie positive et philosophe21).

    Cet engouement pour la géographie ne peut qu’amener les contemporains à se positionner sur « l’Autre » (les Persans de Montesquieu, le Huron de Voltaire, les Tahitiens de Diderot…) ? notre auteur, lui, choisit « l’Anglais ». Cette réflexion n’est pas anodine car elle permet de méditer sur le système politique et de « travestir » la critique22) tout en relativisant l’européano-centrisme et sa culture nationale23). Ajoutons que la figure de l’Autre aide aussi à se concentrer sur l’humanisme24), en s’inscrivant dans une tradition célèbre ? songeons à Montaigne et à ses Cannibales. Enfin, cela permet de mieux reconstituer sa propre image et de mieux se connaître25). Autant d’aspects que l’on retrouve, en filigrane, dans Lettres d’un François.

    3. L’auteur:l’abbe Jean-Bernard Le Blanc, un homme des Lumieres

    Natif de Bourgogne, né en 1707 et mort en 1781, Jean-Bernard Le Blanc fut « historiographe des bâtiments du roi »26), poste prestigieux et bien rémunéré. L’examen de sa carrière indique l’itinéraire d’un « abbé de cour » qui souhaitait être un écrivain des Lumières, tel que le fût Voltaire (il semble d’ailleurs l’imiter en allant en Angleterre) mais qui ne possédait, hélas, guère l’originalité ? certains universitaires le jugent comme manquant de talent27), et on peut admettre avec eux son conservatisme. L’ambition littéraire de Jean-Bernard Le Blanc se démontre par ses multiples textes, oubliés par la suite (« Poëme sur l’histoire des Gens de Lettres de Bourgogne », « Elégies », « Tragédie d’Abensaïd »)28) ? en fait, notre auteur n’aura pour postérité que celle que lui accorderontles historiens du ⅩⅩe siècle, c’est-à-dire d’être un intellectuel très représentatif de son siècle, un intellectuel bourgeois ouvert aux Lumières.

    Par ailleurs, l’homme mérite attention en tant que traducteur de grands auteurs anglais, comme le philosophe David Hume (traduction de ses Discours politiques en 1754 en deux volumes29)), Jonathan Swift (il a traduit l’un de ses textes, nommé « Projet infaillible pour payer les dettes de l’Irlande en six mois30) », dans ses Lettres d’un François), et comme diffuseur de la culture anglaise (traduction de lettres variées et réflexions sur les différences culturelles dans son ouvrage31)). Nous découvrons donc un auteur bilingue et cultivé, intermédiaire de qualité entre la France et l’Angleterre, qui peut être considéré sans exagération comme un philosophe cosmopolite32). Ses pensées et son style élégant ne peuvent contredire ce jugement ; du reste, il est un excellent « vulgarisateur de la pensée et des habitudes anglaises33) ».

    Vulgarisateur, il l’est auprès du grand public (vues les fréquentes rééditions de son texte34)) comme auprès de ses relations. Le panel de ses contacts – l’ensemble de ses destinataires se lit à la fin, dans la Table des Lettres de son ouvrage – est assez impressionnant et n’accueille pas moins de très grands noms de la littérature française, de la philosophie, des sciences, et de l’administration. Pour en citer quelques-uns:le philosophe Montesquieu (Lettre ⅩCⅠ…), le philosophe Helvétius (Lettre ⅩLⅨ…), l’écrivain Crébillon (Lettre LⅢ…) et Crébillon fils (Lettre LⅢ…), le savant-explorateur de Maupertuis (Lettre LⅩⅩⅩⅢ…), le naturaliste Buffon (de multiples lettres, comme ⅩCⅡ, qui prouvent son amitié), l’historien et écrivain Duclos (Lettre ⅩⅩⅩⅨ…), sans oublier quelques lettres écrites par Madame de Fontenelle (Lettre LⅧ…) ou encore Voltaire (préface du volume Ⅰ…).

    Une autre catégorie de destinataires énoncée par la Table des Lettres de son ouvrage et qui permet d’entrevoir les relations de notre auteur est le milieu des Académiciens. Ceux-ci, en effet, fourmillent35). Enfin, apparaît dans la Table une dernière catégorie, socialement importante, composée de membres de la noblesse:président, chevaliers, marquis, comtes, ducs36) et les abbés37). Autant de relations qui attestent que l’abbé Le Blanc était un auteur connu et respecté par ses pairs, et qui, par ses courriers, participait à la « République des Lettres »38). Dès lors, il nous est facile de définir l’abbé Le Blanc comme étant l’une de ces « Lumières chrétiennes », qu’incarnent avec brio Bayle, Condillac, Emmanuel de Croÿ, ou encore Loménie de Brienne39).

    Mais revenons à l’importance des académiciens (sept au total) parmi les destinataires:cette donnée indique ouvertement que Jean-Bernard Le Blanc, « historiographe des bâtiments du roi », est lié à cette institution. On peut d’ailleurs avancer sans hésitation qu’il en possède l’esprit, un brin conservateur.

    Divers signes le démontrent. D’abord ses réflexions éparpillées ici et là sur l’Académie et son fonctionnement. Ensuite un conformisme politique. Rappelons en effet qu’à l’époque l’un des objectifs de ces grandes institutions (Académie française, Sciences, Inscriptions et Belles Lettres…) était de favoriser le conformisme politique et d’être en accord avec l’idéologie absolutiste40), d’aménager la société sans heurts41). L’un des correspondants de notre auteur, Buffon, homme très prudent dans ses vues politiques (mais point dans ses observations naturelles), généreusement payé par Louis ⅩⅤ, en est l’exemple-type. Un conformisme politique que partage l’abbé Le Blanc et qui saute aux yeux quand dans sa lettre ⅩCⅠ à Montesquieu42). Pourtant, cette fidélité au régime n’enlève rien à son attachement aux Lumières, par exemple dans sa lutte incessante contre les préjugés43), caractéristique centrale de la pensée des Lumières.

    4. L’ouvrage:Lettres d’un Francois ou la correspondance au temps des Lumieres

    Lettres d’un François, d’un total de 92 lettres (une lettre contient en moyenne une quinzaine de pages) et de 1138 pages réparties en trois volumes44), appartient principalement aux textes de voyages des Lumières naissantes, combinant idées et descriptions des pays45) (ici l’Angleterre). L’ouvrage est riche en pensées (Lettre Ⅰ:réflexions sur la « constitution politique anglaise », Lettre Ⅴ « sur les haines nationales » ; Lettre LⅩⅣ:« De l’Etat républicain, & des inconvéniens qui y sont presque nécessairement attachés » ; Lettre LⅧ:« Sur la Réformation en Angleterre, ses influences sur les Moeurs & les dangereux abus de la Presse »…), en réflexions sur l’art (Lettre LⅩⅩ:« Caractère de Shakespeare » ; Lettre LⅤ:« Des comédiens Anglois & François »…), en descriptions de coutumes, de moeurs et de paysages (Lettre Ⅵ « les quakers », Lettre Ⅹ:« sur les mariages inégaux et clandestins », Lettre ⅩⅥ « Sur les domestiques anglois » ; Lettre LⅩⅩⅩⅧ « Sur les eaux de Bath, la Compagnie qu’on y trouve, & la manière d’y vivre »…) comme en anecdotes ou pensées originales (Lettre Ⅳ « Sur l’usage ridicule des Anglois qui s’habillent comme leurs domestiques », Lettre LⅩⅩⅩⅠ:« Sur la Passion qu’ont les Anglois pour les jeux de Hazard (…) »).

    Les idées s’enchaînent dans cet ouvrage, plaisant à lire:aux descriptions de la campagne anglaise et de son caractère pittoresque répondent des réflexions sur le système parlementaire anglais, les arts anglais, le commerce anglais, les modes, les mœurs et les coutumes étranges de ce pays. « Fourre-tout », l’ouvrage, par sa richesse, est une invitation à la promenade en pays étranger, une promenade d’autant plus agréable que le style de l’auteur, fluide, en détaille tous les charmes.

    On sait comme le voyage, du fait du déplacement et de l’éloignement, implique la correspondance46). La correspondance qui, du reste, peut être vue comme l’équivalent écrit de la conversation (qui a été portée en art par les Lumières et qui se déployait dans les salons littéraires47)) ; la correspondance qui témoigne de la sociabilité spécifique des Lumières:pensons à Voltaire et à ses 1400 correspondants, ou encore à Rousseau et à ses 600 contacts48). Même si l’abbé Le Blanc n’est pas un de ces grands philosophes, en parcourant ses lettres, on peut assurément le rapprocher d’un provincial nommé Séguier de Nîmes, qui possédait pas moins de ses « quinze cents visiteurs », ainsi que des correspondants internationaux (d’Angleterre, d’Espagne, de Prusse, d’Italie…)49). Ajoutons que notre auteur s’est vu proposer par de Maupertuis un travail à l’Académie de Prusse50) (offre qu’il a déclinée)… de quoi suggérer que ses correspondants devaient eux aussi essaimer l’Europe.

    Autant de constats qui nous amènent à voir notre auteur comme représentatif d’une bourgeoisie aisée, intellectuelle et éclairée qui, à son échelle, servira tout au long du ⅩⅧe siècle de relais aux idées du mouvement des Lumières – une bourgeoisie dont, on le sait, on ne doit pas mépriser l’importance.

      >  Ⅱ?LA RECONSTRUCTION DU TEMPERAMENT ANGLAIS ET SON LIEN AVEC LES SCIENCES

    1. Definir le temperament

    Par « tempérament », nous entendons « Caractère d’une personne51) ; humeur ; naturel ; penchant », et plus précisément son rapport avec la « physiologie »52) (dont l’une des branches traite des interactions entre un organisme vivant et son environnement). Ce terme, qui fait appel à la théorie des climats (étudiée ultérieurement), se raccroche à la notion de stéréotype social, de pensée stéréotypée (c’est-à-dire l’idée de « ramener tous les membres d’un groupe à des caractéristiques générales, ou encore à les percevoir sous la catégorie de l’espèce53) »). De fait, on voit immédiatement le danger du stéréotype social:le racisme. Car la pensée stéréotypée, dévoilée malgré lui par l’abbé Le Blanc, « postule l’identité essentielle du monde organique [entendons la nature et les êtres vivants] et de l’univers social54) »:une interaction qui se développe dans la pensée de l’abbé Le Blanc et qui, dans cet article, se voit analysée.

    2. La geographie et le climat de l’Angleterre et ses consequences sur le temperament du peuple anglais

    Dans la logique intellectuelle de la pensée stéréotypée, la géographie influence grandement le tempérament. On peut résumer cette posture intellectuelle de la sorte:« Un homme qui naît dans tel espace géographique [pays] sera de tel tempérament, aura tel caractère »:voici une pensée limitée et dangereuse. Or, dès la Lettre I, force est de constater que l’abbé Le Blanc utilise cette logique intellectuelle sous couvert d’une approche qui se prétend scientifique:« Ce n’est pas seulement dans le gouvernement, c’est aussi dans la nature du Pays que les Anglois habitent, c’est dans la Physique dont l’influence sur le Moral est toujours sûre, qu’il faut chercher les raisons des différences essentielles qui se trouvent entre eux & leurs voisins (…) Ainsi que les plantes, nous participons à la nature du climat où nous vivons55) ». On ne peut le dire plus clairement:selon lui, le tempérament d’un peuple se lie d’abord à son environnement géographique immédiat (terre et climat).

    Aussi nous ne devons pas être surpris de voir notre auteur relier le destin de l’Angleterre à la mer, de voir en l’insularité de l’Angleterre l’une des causes fondamentales du succès du commerce anglais56). Raisonnement qui se poursuivra tout au long de ses lettres:« C’est une Isle placée comme à un centre dont le Commerce peut tirer des lignes, soit à l’Orient, soit à l’Occident, soit au Midy, soit au Nord. Elle est peuplée d’Hommes également braves, forts & industrieux57) » (volume Ⅲ).

    De même, plusieurs fois le voit-on exagérer les conséquences du climat de l’Angleterre sur le caractère du peuple anglais:« C’est aux brouillards dont leur île est presque toujours couverte que les Anglois doivent (…) l’affection mélancholique de leur tempérament. Cette disposition triste de leur âme est peut-être la cause qui les rend si violents dans leurs passions ; ils poursuivent avec ardeur l’objet qui les en distrait (…). Cette même habitude à la mélancholie (sic) les empêche d’être jamais contents de leur sort, & les rend aussi ennemis de la tranquillité, qu’amis de la liberté58) ». Une mélancolie causée par « les brouillards » ! De nouveau, géographie et caractère s’entremêlent pour expliquer de manière schématique le caractère d’un peuple. Remarquons aussi que cette pensée stéréotypée des Anglais mélancoliques n’est, à l’époque, guère originale car elle répète les commentaires des écrivains-voyageurs français ayant déjà séjourné en Angleterre (Lacombe, Grosley ou Ange Goudard59)).

    3. L’Angleterre, ou le ≪ pays roi ≫ des Sciences

    Avant d’en venir à la description détaillée du tempérament du peuple anglais et de son rapport avec les sciences, il est nécessaire de retranscrire ce constat de l’auteur:les Anglais dominent largement les sciences positives (mathématiques, astronomie…) en Europe. Ce refrain revient tout au long de ses lettres:« Quant à ce qui regarde les Sciences abstraites, & toutes celles qui dépendent du Calcul, de l’Expérience, comme la Géométrie, l’Astronomie, etc. les Anglois sont si riches eux-mêmes, qu’ils n’ont pas besoin de se parer des richesses des autres. Dans ces Sciences, ils ont l’avantage sur les autres peuples de l’Europe60) ». Il parle même d’« amour [de l’Angleterre] pour les Sciences61) ».

    Pour mieux justifier cette pensée, il nous donne des preuves diverses:en premier lieu, le fait que les Anglais adulent les grands scientifiques. Parmi eux, évidemment, l’éminent Newton:« Vous connoissez le zèle qu’ont les Anglois pour la réputation de ce grand homme62) [Newton] ». Puis Bacon, le scientifique philosophe:« On leur a souvent reproché d’être enthousiastes sur les hommes illustres de leur Nation, mais ils n’en ont aucun [Bacon] sur lequel ils le soient autant63) ». Notre auteur montre également l’intérêt des Anglais pour les sciences en rapportant l’important flot de publications scientifiques dans le pays64). Et doit-on être surpris d’entendre que ces mêmes Anglais accueillent avec succès les nouveaux ouvrages scientifiques65) ? Bien sûr que non.

    Notre auteur évoque aussi la domination des Anglais dans les « Arts méchaniques (sic) », qui « ne peuvent fleurir nulle part sans les Sciences ». Ils expliqueraient, avec la géographie particulière de l’Angleterre, la réussite anglaise dans « la navigation66) », « la plupart des instruments qui y sont utiles (…) la Boussole (…) le quartier anglais67) ». Et qui dit « instruments » dit forcément « machines », matière ou ce « peuple aussi industrieux que laborieux » excelle car il a « un grand avantage sur ses voisins dans toutes les choses dont on vient à bout avec le tems68) (sic) ». Une ingéniosité proprement anglaise qui fascine notre auteur69). Enfin, il remarque que le prestige de l’Angleterre dans les sciences est tel qu’elle attire les savants français, notamment « les géomètres », qui regardent « la Géométrie comme la Première des Sciences70) ». Autant d’observations qui sous-entendent que le tempérament du peuple anglais pourrait développer des affinités à l’égard des sciences positives.

    4. Le temperament anglais:un temperament pro-scientifique

    La présentation de la logique intellectuelle de Jean-Bernard Le Blanc et son constat d’une Angleterre « reine des sciences » nous conduit à nous interroger sur sa description du tempérament anglais. Pour le dire autrement, sous son regard, le peuple anglais aurait-il un tempérament spécifique, qui aurait des affinités avec les sciences ? Et si c’est le cas, comment la pensée stéréotypée de l’abbé Le Blanc relie-t-elle ce tempérament du peuple anglais aux sciences ?

    Pour répondre à cette question, nous avons décidé de lister tous les traits du caractère du peuple anglais chaque fois que notre auteur aborde les sciences. De cette façon, nous reconstituons dans le détail son regard stéréotypé. Un « tempérament anglais » spécifique, qui possède des prédispositions et des affinités avec les sciences, apparaît très vite.

    Pour Jean-Bernard Le Blanc, les Anglais sont :

    On le constate donc:rassemblés, tous ces traits de caractère suggèrent une prédisposition naturelle du tempérament anglais pour les sciences dures et positives – c’est du moins ce que pense notre auteur.

      >  Ⅲ?DEBATS DES LUMIERES ET LIMITES

    Après avoir reconstitué ce stéréotype d’un caractère anglais pré-scientifique, il faut maintenant cerner ses matériaux et réfléchir comment il participe, par sa métaphore, aux débats des Lumières.

    1. La theorie des climats, ou le determinisme geographique des Lumieres

    Revenons au concept de « tempérament » utilisé par la pensée stéréotypée de l’abbé Le Blanc. Comme cela a été vu (partie Ⅱ, 1.), il suppose une interaction étroite entre le monde organique (nature, environnement géographique et climatique) et l’univers social.

    Cette idée dangereuse90) revient souvent sous la plume de notre auteur, et parfois de manière criante, comme le montre cet extrait d’une lettre destinée à Montesquieu:« Il semble même qu’en général le Despotisme Oriental n’est point à craindre dans les Pays où les Hommes sont naturellement fiers, remuans & courageux [sous-entendu, les pays d’Europe de l’Ouest, comme la France ou l’Angleterre]. Ceux de nos Climats ne sont pas faits pour l’Esclavage comme les Asiatiques que la molesse abatardit91)(sic) ». Le préjugé concernant l’Asiatique [ici l’Arabe] est terrible, d’autant qu’il est lié au « Climat ». Dans la pensée de Jean-Bernard Le Blanc, un climat chaud incline les Arabes à la « mollesse » (sic)… En fait, il n’est pas le premier à émettre cette idée puisque le destinataire de sa lettre, à savoir Montesquieu, a lui-même utilisé cette théorie, nommée théorie des climats.

    Effectivement, dans l’Esprit des Lois, Montesquieu écrit:« Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens (…). Dans les pays froids, on aura peu de sensibilité pour les plaisirs ; elle sera plus grande dans les pays tempérés ; dans les pays chauds, elle sera extrême. Il en sera de même de la douleur (…). Il faut écorcher un Moscovite pour lui donner du sentiment92) ». A nouveau, retrouve-t-on le mélange géographie/tempérament. Nombreux sont les travers de cette théorie qui laisse la part belle aux préjugés et qui privilégie, sous une enveloppe pseudoscientifique, une forme de racisme. De grands historiens français, comme Pierre Gourou, l’ont d’ailleurs condamnée93), gardant en mémoire les horreurs perpétrées par le racisme.

    Au-delà de cette terrible limite, cette thèse dévoile l’essai maladroit et périlleux de Montesquieu de théoriser la géographie en l’appuyant sur l’expérience scientifique94) ? une idée néanmoins novatrice et moderne des Lumières. De même démontre-t-elle la mutation profonde de la géographie au ⅩⅧe siècle, moment ou elle s’allie durablement à l’ethnologie95), en faisant appel à deux dynamiques complémentaires:d’un côté, l’étude de l’histoire, des langues, de la physionomie morale des peuples ; de l’autre, la théorie moderne du progrès, qui se compose de la théorie des stades de développement et de l’idée des « races »96). En somme, la vision classique de la géographie héritée des Grecs et de Jean Bodin97) demeure mais elle se voit renforcée d’apports qui se prétendent exclusivement scientifiques.

    Au demeurant, Montesquieu n’est pas le seul penseur des Lumières à employer cette démarche ; Buffon, le grand naturaliste, et destinataire de plusieurs lettres de l’abbé Le Blanc, y recourt aussi et se permet même d’aller plus loin en énonçant la notion de « patrie naturelle98) » - l’idée d’un homme lié à son environnement, comme les animaux99)… Un avatar qui montre les erreurs d’une science qui se cherche. En tout cas, quand on lit attentivement la vision de l’Anglais de l’abbé Le Blanc, qui se dit « scientifique », on ne peut douter qu’il s’inscrit lui-même dans cette tradition qui mêle pseudo-science, ethnologie et géographie. Ce qui fait de notre auteur un homme des Lumières:avec toutes ses innovations (un raisonnement qui se veut explicatif, démonstratif et empirique), mais aussi toutes ses limites (les pensées stéréotypées et leur danger) et ses contradictions (il émet des préjugés alors qu’il prétend batailler contre eux).

    2. La question de la science:la pensee paradoxale de l’abbe Le Blanc

    D’une autre façon, le portrait stéréotypé du caractère anglais de l’abbé Le Blanc nous amène à nous interroger sur son opinion concernant les sciences positives en général. Quelle est la pensée de notre auteur à leur égard ? Et comment ces questions profondes s’invitent-elles dans sa pensée stéréotypée ?

    Pour y répondre, il faut au préalable revenir à l’auteur et à certains de ses destinataires. En premier lieu, l’auteur:nous savons qu’il est le traducteur du philosophe David Hume (traduction de ses Discours politiques en 1754), dont l’adhésion à la religion chrétienne fait plus que douter:en effet, nous ne savons pas si ce philosophe était déiste ou athée100). En second lieu, les destinataires particuliers de ses lettres:on rencontre d’abord son ami Louis Moreau de Maupertuis, qui a réfléchi au transformisme et à la variabilité des espèces dans le temps, des idées importantes dans la construction de la théorie de l’évolution des espèces101). Un autre destinataire important ? lui aussi un ami ? est Buffon. Buffon qui, comme chacun sait, pense que des processus mécaniques sont à l’origine de l’univers102) - il nie donc, comme Newton, l’idée de la création divine ?, Buffon qui prêche le transformisme (possibilité que les espèces se transforment avec le temps)103), Buffon qui, enfin, se voit suspecté d’athéisme104). On le découvre donc:dans les deux cas, les deux destinataires de notre auteur ? qui est un abbé ? accordent une grande confiance à la science et ont émis des théories qui ont écarté l’explication religieuse.

    Venons-en maintenant aux traits de caractère « pré-scientifiques » qui définissent le portrait stéréotypé du caractère anglais:« concentration », « exactitude », « précision », « ténacité », « patience »:autant de qualités qui évoquent de manière imagée les sciences et qui démontrent que notre auteur – un abbé – n’est pas fondamentalement opposé à la démarche scientifique. Rappelons aussi que pour illustrer le tempérament anglais, il fait état de l’adulation du peuple anglais pour Newton, dont l’ouvrage Philosophiae naturalis principia mathematica (1713) détruit l’idée d’une création divine du monde pour la remplacer par une conception mécaniste105), idée que devait connaître notre abbé. Enfin, songeons à sa méthode – la théorie des climats, popularisée par Montesquieu – pour expliquer le tempérament anglais, et sa prétention scientifique.

    On le remarque donc:autant d’éléments qui soulignent l’adhésion aux Lumières de notre auteur. Une adhésion un peu révolutionnaire pour cet homme de foi dans le sens où il accepte, malgré lui, les sciences dures et positives, sciences qui écartent elles-mêmes Dieu (théories de Newton, de Maupertuis, de Buffon) dans leur esprit.

    Cependant, notre auteur est aussi un abbé, un homme de foi, qui croit en Dieu, et qui a conscience des menaces des sciences dures et positives sur son dogme. Aussi, pour protéger intellectuellement sa posture religieuse, se voit-il obligé, de temps à autre, de les critiquer … A nouveau, les traits de caractère du portrait stéréotypé du tempérament anglais donnent un aperçu imagé de ces critiques:c’est d’abord « l’amour des jeux », un comportement immoral que facilitent odieusement les sciences (le contraire de la religion, dont le but est avant tout d’assurer une moralité) ; ensuite, l’absence de « goût », qui consacre l’aspect uniquement utilitaire – et non esthétique, spiritualiste – des sciences positives (et qui sera aussi abordé dans la sous-partie suivante) ; enfin, le risque d’une « liberté » qui, à être trop employée dans les sciences, conduit à de graves dérives – comme nier Dieu, par exemple.

    L’extrait suivant, écrit par notre auteur, démontre explicitement le risque d’utiliser la liberté dans les sciences positives:« Mais cette Liberté a aussi ses inconvéniens ; on en abuse car les Hommes abusent de tout. Théophraste disoit, que la connoissance humaine avec l’aide des sens, pouvoit juger des choses jusqu’à un certain point ; mais qu’étant arrivée aux causes premières, il falloit qu’elle s’arrêtat, soit à cause de leur extrême difficulté, soit à cause de sa propre insuffisance. Nos philosophes modernes ont été trop confians. Plusieurs Disciples de Bacon se sont égarés, les uns pour avoir quitté les sentiers qu’il leur avoit frayés, les autres pour avoir osé pénétrer les Abîmes qui avoient arrêté ce grand Philosophe106) ». Ici, les « causes premières » suggèrent l’idée de Dieu ; notre auteur met donc en garde son lecteur…

    Cette critique des sciences interfère aussi dans le tempérament anglais quand Jean-Bernard Le Blanc aborde la question des « géomètres ». En effet, ils semblent symboliser pour lui les sciences positives dans toute leur pureté. « Si l’on en croit ces espèces de Fanatiques [les géomètres], il n’y a d’Hommes véritables que les Anglois107) » énonce-t-il, tout en les suspectant insidieusement d’être traîtres à la patrie. En outre, il emploie le terme de « Fanatiques », un mot dur, qui entre incontestablement dans le champ lexical de l’hérésie ? donc de la religion catholique, sa religion qu’il sent menacée. Notons que les philosophes ont aussi réfléchi au nihilisme de la géométrie pure. Ainsi, d’Alembert critique-t-il explicitement dans ses ouvrages les dérives de cette discipline mathématique:« On a mis jusqu’à des figures de géométrie dans des traités de l’âme ; on a réduit en théorèmes l’énigme inexplicable de l’action de Dieu sur les créatures »(…)108). Et la lecture de l’article « géomètre » de l’Encyclopédie est tout autant chargée d’ambiguïtés 109)…

    On le voit:Jean-Bernard Le Blanc désapprouve également les sciences dures et positives – son portrait stéréotypé du tempérament anglais l’exprime de lui-même.

    Positif ? Négatif ? Lequel domine ? En fait les deux se combinent dans un même portrait. Nous ne pouvons qu’aboutir à cette conclusion:tour à tour s’intéressant aux sciences positives et tour à tour les blâmant, la posture intellectuelle de notre auteur se révèle ambivalente, sinon paradoxale.

    Sa réflexion à l’égard des sciences positives est paradoxale car notre auteur qui est un abbé, un homme religieux, réfléchit, évoque les sciences positives, et même affirme utiliser une démarche scientifique pour décrire le peuple anglais (par le biais de la théorie des climats). Or, l’on sait que ces mêmes sciences ont la capacité de nier la métaphysique créée par la religion chrétienne (Dieu et son système). En réalité, apparaît ici toute l’ambiguïté des Lumières chrétiennes (et même des Lumières en général, rarement athées110)). Est-ce à dire que notre abbé s’appliquerait intellectuellement, et maladroitement, sinon avec contradiction, à détruire sa propre croyance en Dieu, sa foi autour de la métaphysique chrétienne ?

    On est en droit de le penser. L’exemple le plus éclatant, et qui rappelle cette posture intellectuelle contradictoire, est le curé de campagne Jean Meslier, surnommé « l’abbé Meslier », qui, dans cette même période fonda en France l’athéisme111) et fut le précurseur du matérialisme bien avant de La Méttrie et d’Holbach112)… Plutôt que d’asseoir la religion, voilà qu’il la détruit. L’abbé Le Blanc semble s’adonner lui aussi à cette tendance, mais il le fait de manière moins caricaturale et moins spectaculaire.

    Mais cette contradiction intellectuelle n’en est pas moins logique:en se révoltant par ses méthodes contre la tradition religieuse, il illustre la patiente construction de la modernité des Lumières. J. Pocock, historien de la philosophie, détaille très bien l’essence philosophique de la démarche qui conduit à la modernité:« Le grand ressort de la sécularisation européenne ne se trouverait pas à l’extérieur de la pensée chrétienne, mais en son sein. (…) La modernité [est] un patient travail de la tradition contre elle-même 113) ». L’abbé Le Blanc, « gardien de la tradition », comme Meslier, travaille lui aussi contre la tradition. Il se révèle critique et ébranle l’ancienne conception d’un monde dominé par la révélation114), tout en popularisant ici et là des grands hommes (Newton, Hume le prophète de l’expérience) qui, par leurs idées, feront jouer la contestation et la relativisation impliquées par les sciences115). Le plus intéressant est que notre auteur utilise la forme littéraire du récit de voyage.

    3. La science contre les Anciens, ou la querelle des Anciens et des Modernes (bis)

    La querelle des Anciens et des Modernes, qui a commencé à la fin du ⅩⅦe siècle, s’invite aussi dans les textes de notre abbé. On sait qu’elle a opposé Boileau, Racine, La Fontaine, La Bruyère (« les Anciens ») à Charles Perrault, Fontenelle (« les Modernes »)116). Querelle vive, non seulement en France, mais aussi en Angleterre117) et qui se prolongea en France au-delà des années 1750118) voire jusqu’à Baudelaire119).

    Rappelons que les enjeux qu’elle a mis en lumière, extrêmement importants, dépassaient l’esthétique pour toucher à la sociologie, la philosophie, la politique, la religion120). Pour le dire simplement, elle s’interrogeait sur le regard intellectuel à adopter vis-à-vis de la culture des Anciens, dite « classique » (auteurs latins et grecs):doit-on les reléguer dans le passé et s’en remettre à l’esprit du temps, ou les utiliser pour mieux réfléchir dans son temps présent121) ?

    Cette question posait avec acuité l’acceptation ou non d’un nouvel état d’esprit fondé sur la raison, qui assimilait avec bienveillance les sciences et une certaine idée du progrès – l’esprit moderne122). De même, l’enjeu était-il clairement religieux car prendre ses distances envers les textes gréco-latin, qu’utilisait l’Eglise pour promouvoir l’Ecriture et de la Tradition123), c’était aussi remettre en cause une vision traditionnaliste et providentialiste du monde. Enfin, ajoutons qu’au moment de la rédaction de Lettres d’un François par l’abbé Le Blanc, cette querelle demeurait vive ? la traduction du Discours de la Tragédie proposée par l’écrivain et dramaturge Antoine Houdar de La Motte dans une version moderne, en 1730, venait de faire débat et faisait pleuvoir les critiques des Anciens124). Ce contexte brûlant interfère sur les écrits de l’abbé Le Blanc, notamment sur sa vision du tempérament anglais. Aussi, est-il légitime pour nous de nous interroger:l’abbé Le Blanc est-il Ancien ou Moderne ? Où va sa préférence ? Et en quoi cette préférence influence-t-elle son portrait du caractère anglais ?

    Plusieurs fois, notre abbé fait allusion à ce débat:« M. De la Motte a osé prononcer sur Homere, dont il avoue qu’il n’entendoit pas la Langue125) » - voici une critique ouverte du Moderne. Et notre auteur, de se lamenter:« Aujourd’hui, parmi ceux qui osent usurper le nom [d’Hommes de Lettres], combien à peine entendent le Latin !126) ». Et de se plaindre que « les uns se laissent entraîner par le Torrent (…) ; quel’on ne voit plus paroître en France que des Ouvrages frivoles127) ». Ces quelques lignes suffisent à constater que la posture intellectuelle del’abbé Le Blanc est celle des Anciens. Pour autant, comment cedébat influe-t-il sur le tempérament scientifique des Anglais ?

    En fait, l’abbé Le Blanc dépeint ceux-ci comme ayant un caractère humble et digne, respectueux des Anciens128). Il se plaît aussi à vanter leur système éducatif qui, selon lui, respecterait la culture des Anciens (l’apologie des universités d’Oxford et de Cambridge) davantage qu’en France129) - ce quiexpliquerait, selon lui, que l’Angleterre soit avancée dans le domaine des Sciences. En France, par contre, « le gout de la Philosophie a presqu’entièrement détruit celui des Belles-Lettres [c’est-à-dire le Grec et le Latin]130) » regrette-t-il. Une « philosophie » ? le nouvel état d’esprit moderne pour le dire sans ambages – dont, pourtant, il partage les vues si l’on lit ses lettres à Montesquieu, Buffon, et sa perception pseudo-scientifique du peuple anglais… Une nouvelle fois, notre abbé est contradictoire.

    En réalité, on est en droit de penser que notre auteur fait preuve de conservatisme. Et qu’il cherche aussi à se définir comme un homme de synthèse, placé entre Anciens et Modernes, dont la pensée pourrait se résumer de la sorte:« Utiliser les Anciens pour être moderne », ou « être moderne mais en respectant le legs des Anciens », ou encore « explorer la modernité, tout en gardant le système de pensée des Anciens ». Cet entre-deux apparaît parfaitement quand il critique, en Angleterre, les spécialisations qui se font dans les sciences131), spécialisations porteuses selon lui d’un nihilisme (elles tuent la métaphysique divine), un « positivisme » - positivisme qu’il conteste quand il écrit « les Sciences comme les Moeurs sont parmi nous soumises à l’Empire de la Mode132) »:mais qu’est-ce que la Mode, sinon le « futile », donc le néant ?

    Cette posture synthétique émerge aussi quand il s’inquiète de la « grande vogue où la Géométrie est aujourd’hui en France133) » - la géométrie, relevant des mathématiques, est très positiviste, et ne peut, par conséquent, que menacer cette culture classique, morale et respectueuse d’un ordre ancien134). Enfin, on peut voir son désir de protéger les Anciens, et son envie de les synthétiser avec les Modernes, quand il écrit:« On peut dire que les Sçavans Anglois rendent encore un véritable culte aux Anciens135)». Pourtant, on ne peut oublier que parmi ces mêmes savants anglais, certains sont des « géomètres », qui risquent par conséquent de devenir « fanatiques ».

    La question du « goût », importante pour décrire un caractère, interfère aussi:dans l’esprit de notre auteur, le « goût » renvoie sans ambiguïté à la culture des Anciens136). Son absence, par contre, est moderne.

    Une nouvelle fois, l’abbé Le Blanc cherche à se concilier deux tendances contradictoires:son accord des Lumières (et d’une partie de leur esprit) et son rejet d’une partie de leurs idées (comme le positivisme des sciences dures, type mathématiques). Et c’est presque naturellement que la querelle des Anciens et des Modernes complète ce débat.

    1)Michel Delon, Pierre Malandain, Littérature française du ⅩⅧe siècle, P.U.F., Paris, 1996, p.5.  2)On s’appuiera notamment sur l’article de Xavier Roze, définition de « Stéréotypes Sociaux » in Encyclopédie Universalis.  3)Josephine Grieder, Anglomania in France, 1740-1789, Fact, fiction, and political discourse, Librairie Droz, Genève, 1985, p.34. (La date est aussi mentionnée dans la Préface des ouvrages étudiés).  4)Olivier Chaline, La France au ⅩⅧe siècle 1715-1787, Belin Sup, Paris, 1996, p.20.  5)Jean Bérenger, Jean Meyer, La France dans le monde au ⅩⅧe siècle, Sedes, Paris, 1993, p.20.  6)Ibid., p.22.  7)Josephine Grieder, op.cit., p.39.  8)André Zysberg, La monarchie des Lumières, 1715-1786, Le Seuil, Paris, 2002, p.214.  9)Josephine Grieder, op.cit., p.33-34.  10)Olivier Chaline, op.cit., p.18.  11)Josephine Grieder, op.cit., p.8.  12)Ibid., p.8.  13)Ibid., p.21.  14)Ibid., p151-152.  15)George R. Havens, “The Abbé Le Blanc and English Literature”, in Modern Philology, vol.18, n˚8 (1920), p.425.  16)Josephine Grieder, op.cit., p.147.  17)Ibid., p.147.  18)Michel Launay, Georges Malhos, Introduction à la vie littéraire du ⅩⅧe siècle, Bordas, Paris, 1969, p.18-20.  19)Marie-Sylvie Séguin, Histoire de la littérature en France au ⅩⅧe siècle, Hatier, Paris, 1992, p.51.  20)Daniel Roche, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1993, p.25.  21)Ibid., p.20.  22)André Zysberg, op.cit., p.423.  23)Marie-Sylvie Séguin, op.cit., p.51.  24)Michel Delon, Pierre Malandain, op.cit., p.233-234.  25)Ibid., p.231.  26)Préface de Lettres d’un François.  27)Basil Guy, « Toward an Appreciation of the abbé de Cour », in Yale French Studies, n˚40, Literature and Society : Eighteen Century (1968), p.89.  28)Johan Heinrich Samuel Formey, La France littéraire ou dictionnaire des auteurs français vivans, Chez Haude et Spener, Librairie de la Cour et de l’Académie, Berlin, 1757.  29)Ibid.  30)Jean-Bernard Le Blanc, Lettres de Monsieur l’abbé Le Blanc, vol.1, Amsterdam, 1751, p.295.  31)Parmi elles, on retiendra dans le volume Ⅲ : « Sur la vanité et l’ambition de l’Esprit humain » (Lettre LⅩⅦ) ; « Lettre du Comte d’Essex à M. Antoine Bacon » (Lettre LⅩⅨ) ; « Lettre du Chancelier Bacon au roi d’Angleterre Jacques Ier » (Lettre LⅩⅩⅥ) ; « Le Supplément du Génie. Ou l’Art de composer des Poëmes Dramatiques, tels que l’ont pratiqué plusieurs Auteurs célèbres du Théâtre Anglois » (Lettre LⅩⅩⅥ) ;  32)Josephine Grieder, op.cit., p.34.  33)Ibid., p.35.  34)Ibid., p.34.  35)Citons ainsi l’abbé Du Bos (Secrétaire perpétuel de l’Académie française), Fréret (Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres), de la Chaussée (secrétaire perpétuel à l’Académie française), l’abbé d’Olivet (Académie française), Charles Pinot Duclos (Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres), l’abbé de Rothelin (Académie française), de Montcrif (Académie française).  36)Le président Bouhier, le marquis de G***, le chevalier de B***, le marquis du T***, le duc de D***, le comte de C***, le duc de Nivernois, le chevalier de B***, le duc de R***, le marquis de Lomellini, le duc de ***  37)L’abbé L* C***, l’abbé Hubert, l’abbé Ge’Douin, l’abbé Sallier, l’Abbé L.A.H.*  38)Daniel Roche, Les Républicains des lettres, Gens de culture et Lumières au ⅩⅧe siècle, Fayard, Paris, 1988, p.264.  39)Olivier Chaline, op.cit., p.109.  40)Daniel Roche, op.cit., p.160.  41)Olivier Chaline, op.cit., p.116.  42)« Combien plus encore devons-nous estimer les avantages d’une Religion (…) qui nous enseigne à respecter dans les Rois les Images de la Divinité (…) et qui rappelle incessamment aux Peuples que l’obéissance est un devoir » Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, p.379.  43)Dans sa Lettre Ⅲ destinée à Buffon (vol. Ⅰ), l’abbé Le Blanc écrit : « Quant à moi, je ne prétens pas les juger [les Anglais], mais seulement les représenter tels qu’ils me paroissent. Ces jugements que l’on porte de toute une Nation sont rarement justes, & presque toujours téméraires ».  44)Ouvrage disponible sur google books grâce à une numérisation autorisée par la bibliothèque de l’université d’Harvard.  45)Michel Delon, Pierre Malandain, op.cit., p.233-234.  46)Daniel Roche, op.cit., p263.  47)Ibid., p.113.  48)Olivier Chaline, op.cit., p.114.  49)Daniel Roche, op.cit., p.272.  50)George R. Havens, op.cit., p.426.  51)Alain Rey, Grand Robert de la langue française, 2e édition, 2e définition de « tempérament ». Ici, la notion de tempérament est surtout utilisée dans une vision déterministe – donc limitative et avec tous les dangers que cela comporte – ; on pense tout naturellement au « tempérament d’une nation », et à la citation de Marcel Aymé : « N’oublions pas que le Français est frondeur de tempérament ». Il donne la part belle aux stéréotypes.  52)Ibid., 3e définition du grand Robert.  53)Xavier Roze, définition de « Stéréotypes Sociaux » in Encyclopédie Universalis.  54)Ibid.  55)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., Lettre Ⅰ, vol Ⅰ, p.6.  56)« Quoiqu’en disent les Anglois, il est sûr que la situation de leur Isle y contribue [au commerce] du moins autant que la nature de leur Gouvernement » écrit Jean-Beranrd Le Blanc dans le volume Ⅰ, Lettre Ⅰ, p.4.  57)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., Vol. Ⅲ, Lettre LⅩⅩⅩⅤ, p.293  58)Ibid., p.9.  59)Josephine Grieder, op.cit., p.56.  60)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre ⅩⅩⅦ, p.136.  61)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅰ, Lettre Ⅱ, p.13.  62)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre LⅩⅩⅩⅢ, p.264.  63)Ibid., p.265.  64)Jean Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, p.19.  65)Ibid. Dans cette lettre destinée à de Maupertuis, l’abbé Le Blanc prend bien soin de dire que « Les Anglois attendoient votre Ouvrage sur la Figure de la Terre avec impatience ; ils l’ont reçu avec acclamation ».  66)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅰ, Lettre Ⅷ, p.62.  67)Ibid., p.64.  68)Ibid., p.64.  69)Ibid., p.64.  70)Ibid., Lettre ⅩⅠ, p.94.  71)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit, Lettre Ⅷ, vol Ⅰ, p.60.  72)Ibid., p.64.  73)Ibid., vol.Ⅰ p.58.  74)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., Vol Ⅰ, Lettre Ⅷ, p.65.  75)Ibid.  76)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre ⅩCⅡ, p.403.  77)Ibid., vol Ⅲ, p.20.  78)Michel Charpentier, Jeanne Charpentier, Littérature ⅩⅧe siècle, Nathan, Paris, 1988, p.107.  79)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅰ, Lettre Ⅱ, p.13.  80)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre LⅩⅩⅩⅠ, p.243.  81)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅱ, Lettre ⅩLⅨ, p.190.  82)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre LⅩⅩⅩⅠ, p.243.  83)Dans le volume Ⅰ, p.122, Jean-Bernard Le Blanc écrit : « A l’égard du penchant qu’a cette nation à abréger les mots, M. Addison en donne une raison peut-être plus spécieuse que vraie. Ce défaut vient selon lui de l’aversion qu’ont ses Compatriotes pour trop parler ».  84)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅱ, Lettre LⅩⅡ, p.351.  85)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre LⅩⅦ, p.27.  86)Dans son Dictionnaire philosophique (1764), Voltaire énonce : « Le goût, ce sens, ce don de discerner nos alimens, a produit dans toutes les langues connues la métaphore qui exprime le mot goût, le sentiment des beautés et des défauts dans tous les arts » (in Philippe Ariès et Georges Duby, Histoire de la vie privée, Tome 3, Paris, 1986, p.301).  87)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., Lettre ⅩⅩⅩⅡ, vol Ⅰ, p.331.  88)« Une exactitude trop scrupuleuse ne refroidirait-elle pas le génie ? » s’interroge ainsi l’abbé Le Blanc, dans le volume Ⅰ, lettre Ⅷ, p.66.  89)Ibid, p.335.  90)Dans ses excès, elle a conduit au racisme, affirmant par exemple la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir.  91)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre ⅩCⅠ, p.382.  92)Montesquieu, De l’Esprit des lois, ⅩⅣ, 2.  93)Avec raison, ils mettent en valeur la « faiblesse de méthode » de Montesquieu, soulignent son « déterminisme physique », une « somme de tels préjugés » et « ses inconséquences ». Avant de conclure, avec une grande et belle lucidité : « Ces vues (…) dorment en nous » in Pierre Gourou, « Le déterminisme physique dans « l’Esprit des lois » », L’Homme, 1963, tome n˚3, p.5-11.  94)Michel Charpentier, Jeanne Charpentier, op.cit., p.37.  95)Claude Blanckaert, « Géographie et anthropologie : une rencontre nécessaire (ⅩⅧe-ⅩⅨe siècle) », Ethnologie française, 2004/4, Vol 34, p.663.  96)Ibid.  97)Geoffrey J. Martin, All Possible Worlds, A History of Geographical Ideas, Oxford University Press, New York, 2005, p.96.  98)Claude Blanckaert, op.cit., p.665.  99)Il va jusqu’à offrir une analyse très curieuse du people américain : les conditions géographiques naturelles (climat, biologie, botanique) propres à l’Amérique limiteraient selon lui le « potentiel humain » (Geoffrey J. Martin, op.cit., p.99). Irrité par cette analyse de Buffon, Jefferson, grand connaisseur de la géographie américaine, est allé le rencontrer à Paris pour le critiquer.  100)Ferdinand Alquié, Article « David Hume », Encyclopédie Universalis.  101)Armand de Ricqlès, Article « Evolution », in Encyclopédie Universalis.  102)Jacques Roger, Définition de «Georges Louis Leclerc, Comte de Buffon (1707-1788) » in Encyclopédie Universalis.  103)Armand De Ricqlès, op.cit.  104)Michel Launay, Georges Mailhos, op.cit., p.101.  105)Jacques Roger, Article « Sciences – Science et christianisme », Encyclopédie Universalis.  106)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅱ, Lettre ⅩLⅨ, p.190.  107)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅰ, Lettre ⅩⅠ, p.61.  108)Michel Launay, Georges Mailhos, op.cit., p.99  109)Pour esquiver le rapport tumultueux des mathématiques avec Dieu, D’Alembert écrit habilement : « Enfin la foi est une grace que Dieu donne à qui il lui plait, & puisque l’Evangile n’a point défendu l’étude de la Géométrie, il est à croire que les Géometres sont aussi susceptibles de cette grace que le reste du genre humain » (D’Alembert, « Géomètre », p.627, 7e volume, in L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Paris, 1751-1772, University of Chicago:ARTFL Encyclopédie Project).  110)Antoine de Baecque, Françoise Mélonio, Lumières et liberté, Les dixhuitième et dix-neuvième siècles, Seuil, p.71.  111)Jean-Marie Goulemot, Article « Lumières », Encyclopédie Universalis.  112)Jean-Robert Armogathe, Article « Jean Meslier », Encyclopédie Universalis.  113)Antoine Lilti, « Comment écrit-on l’histoire intellectuelle des Lumières ? » Spinozisme, radicalisme et philosophie, Annales, Histoire, Sciences Sociales, 2009/1 64e année, p.205-206.  114)Antoine de Baecque, Françoise Mélonio, op.cit., Seuil, p.17.  115)Ibid.  116)Milovan Stanic, François Trémolières, définition de « Querelle des anciens et des modernes », in Encyclopédie Universalis.  117)Ibid. Comme en France, elle a vu s’opposer des Anciens (Sir William Temple, Swift dont les textes ont été traduits par l’abbé Le Blanc) et des Modernes (William Wotton, Richard Bentley).  118)Michel Delon, Pierre Malandain, op.cit., p.65.  119)Sermain Jean-Paul, « Les modèles classiques : aux origines d’une ambiguïté, et de ses effets », Dix-septième siècle, 2004/2 n˚223, p.179.  120)Ibid., p.66-67.  121)Claude Bouthier, Christophe Desaintghislain, Christian Morisset, Patrick Wald Lasowski, Mille Ans de Littérature française, Nathan, Paris, 2003, p.196.  122)Ibid., p.197.  123)Michel Delon, Pierre Malandain, op.cit., p.66.  124)Cette querelle faisait suite à la question de la traduction des vers de l’Iliade d’Homère entre La Motte (Moderne) et Mme Dacier (Ancien) s’était fait entendre dans les années 1714-1715. La Motte, soutenu par Voltaire, était pour une forme moderne de la poésie (ibid., p.64).  125)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., Vol. Ⅲ, Lettre ⅩC, p.349-350.  126)Ibid., p.350.  127)Ibid., p.350.  128)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., Vol Ⅱ, p.347. Il donne l’exemple d’un érudit anglais « tout hérissé de Grec & de Latin ».  129)Ibid., p.347.  130)Ibid., p.358.  131)« Il en est de certaines Sciences comme des Gouts : elles s’excluent mutuellement (…). Un Physicien n’est pas plus sensible aux graces d’un Ouvrage d’esprit, qu’un Curieux des Coquilles à la beauté d’un Tableau » (Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol. Ⅱ, Lettre LⅩⅩⅣ, p.112).  132)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅱ, Lettre LⅩⅡ, p.347.  133)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅲ, Lettre LⅩⅩⅣ p.112.  134)De même « Le goût presque général des Anglois pour les Mathématiques est peut-être cause du peu d’application qu’ils donnent au genre historique » (Ibid., p.110).  135)Jean-Bernard Le Blanc, op.cit., vol Ⅱ., Lettre LⅩⅡ, p.149  136)« Si les Sciences seules pouvoient donner le gout, où devroit-il être plus commun qu’en ce Pays-ci [en Angleterre]. Aucun Peuple ne les a cultivées plus de succès que les Anglois ; cependant en ce point les modèles des Anciens, & les exemples des Modernes, leur ont été également inutiles » écrit Jean-Bernard Le Blanc, dans le volume Ⅰ, Lettre ⅩⅩⅩⅡ, p.332.

    CONCLUSION

    L’étude de la vision du caractère anglais et de ses affinités avec les sciences, peintes par l’abbé Jean-Bernard Le Blanc dans Lettres d’un François, est donc riche d’enseignements.

    Elle nous fait pénétrer dans l’univers mental d’un homme des Lumières naissantes et nous montre les limites de cette pensée stéréotypée. L’Anglais est avant tout perçu par cet homme des Lumières comme un être dont le caractère s’applique à la perfection aux sciences:exactitude, rigorisme, froideur, taciturnité, patience, aimant les jeux de hasard (qui débouche sur l’immoralisme), libre d’esprit et ignorant du « goût ». Autant d’adjectifs qui reflètent, qualifient les sciences dures et positives…

    Car c’est bien cette problématique qui apparaît en arrière-plan:comment les premières Lumières, en particulier une Lumière chrétienne comme l’abbé Le Blanc, intègrent-elles dans leur pensée la question des sciences dures et positives ? Sachant que ces mêmes sciences peuvent contredire dans leur essence la religion chrétienne ?

    La réponse à cette question de l’abbé Le Blanc se révèle entièrement paradoxale:il se déclare contre ces sciences (il dresse un caractère anglais froid et dur, il critique les géomètres et les mathématiques, il fait l’éloge de la culture ancienne) tout en étant, malgré lui, séduit (son admiration pour l’ingéniosité et l’exactitude anglaises, son approche déterministe et pseudo-scientifique, ses correspondances avec Buffon et de Maupertuis, sa volonté de synthétiser culture ancienne et moderne…). En fait, il développe une pensée de synthèse, de transition qu’incarnent un Voltaire déiste, un Buffon qui se fait discret lorsqu’il aborde la religion, un positionnement typique de ces Lumières naissantes.

    Positionnement qui exprime sa modernité par la forme de récit qu’il utilise – à savoir le récit de voyages –, par sa curiosité envers l’autre, mais qui affiche son conservatisme et ses limites par la pensée stéréotypée du caractère anglais. On peut le dire:la description du tempérament du peuple anglais est ici purement subjective, prisonnière de la propre culture de l’abbé Le Blanc ainsi que de ses opinions à l’égard des sciences positives.

    Au-delà de ce constat, ce texte a aussi le mérite de poser un jalon intellectuel important dans les rapports entre France et Angleterre, dans ce mouvement culturel qu’est l’anglomanie. La vision de l’abbé Le Blanc dévoile à nu l’un des champs de réflexion issus de « l’anglomanie »:les sciences positives. Mais, comme le montrent Voltaire et ses Lettres philosophiques, l’anglomanie développera aussi d’autres thèmes, innovateurs:le commerce, l’économie, la religion, les institutions, la citoyenneté… Autant de nouvelles pistes qui expliquent que nombre des Lumières françaises aient été anglophiles137). Une dynamique qui participera à ce grand mouvement philosophique et ébranlera les anciennes certitudes.

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