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Autour du concept du devenir-araignee: post-pensees deleuziennes sur Proust* 질 들뢰즈의 후기 프루스트론 연구 - ‘거미-되기’를 중심으로 -
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ABSTRACT
Autour du concept du devenir-araignee: post-pensees deleuziennes sur Proust*
KEYWORD
Gilles Deleuze , Marcel Proust , Proust et les signes , A la recherche du temps perdu , devenir-araignee , devenir-animal
  • 1. Introduction

    Proust et les signes de Gilles Deleuze a d’abord été publié sous le titre de Marcel Proust et les signes en 1964. Dans une deuxième édition parue en 1970 sous le titre Proust et les signes, Deleuze a rajouté un chapitre intitulé «Antilogos ou la machine littéraire». Ce chapitre Ⅷ est devenu la deuxième partie de la troisième édition, celle de 1976, sous le nom de «la machine littéraire», comprenant elle-même plusieurs chapitres et suivie d’une conclusion nouvelle: «Présence et la fonction de la folie, l’Araignée». Le philosophe s’intéressait tant à l’ouvrage de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu 1) qu’il n’a cessé d’écrire sur le sujet et de faire des ajouts pendant plus de 10 ans.

    Après l’écriture de ce dernier livre proustien, les études proustiennes de Deleuze se sont constamment élargies et concrétisées dans ses nombreux ouvrages. Son intérêt sans réserve pour Proust est clairement présent dans ses autres oeuvres sur l’art et sur la philosophie puisqu’il a souvent utilisé ce roman autobiographique pour développer ses idées principales.2) Il n’a pourtant jamais remanié l’ouvrage depuis la révision de 1976.

    Dans le court chapitre, «Présence et la fonction de la folie, l’Araignée», l’étude proustienne de Deleuze est très riche et dense. Nous pouvons y entrevoir la naissance de ses concepts importants, qui peuvent être considérés comme les descendants de sa post-philosophie. «Présence et fonction de la folie» pourrait être développé, si on lui joint les écrits deleuziens sur Proust postérieurs à Proust et les signes, en une troisième partie venant compléter cet ouvrage et achever la pensée deleuzienne sur Proust. La présente étude a pour but de saisir le contour des études post-proustiennes de Deleuze et également de construire la troisième partie de Proust et les signes telle que nous l’entrevoyons.

    Dans ce but, nous essayerons d’abord de comparer le dernier chapitre sur Proust avec les études proustiennes de Deleuze dans ses oeuvres suivantes, surtout Kafka, pour la littérature mineure(1975), Mille Plateaux(1980), Qu’est-ce que la philosophie(1991), Critique et clinique(1993), Logique de la sensation(1981), Image-mouvement(1983), Image-temps(1985), Deux régimes de fous(2003).

    Nous utiliserons ensuite le concept de «devenir-araignée» pour traverser ses écrits post-proustiens, car le devenir-araignée est un concept qui réunit les aspects progressifs des pensées deleuziennes, surtout en ce qui concerne la Recherche. Les études proustiennes de Deleuze partent du concept des «signes» et passent au concept de «machine»3), pour s’installer en «devenir» et s’y fixer. De plus, Deleuze souligne toujours que les meilleurs écrivains passent par le devenir-animal, et il remarque que les attitudes du Narrateur du long roman de Proust sont similaires à celles que les araignées adoptent dans le monde animal. On en peut conclure que Proust est un écrivain du devenir-araignée bien que Deleuze n’ait jamais développé ce terme à son sujet (il l’a seulement évoqué dans son ouvrage sur Kafka4)).

    En un sens, Proust et les signes peut être considéré comme inachevé: bien qu’il ait beaucoup cité Proust à travers tous ses ouvrages, et bien que son intérêt pour la littérature aboutisse toujours au devenir-animal des auteurs, Deleuze n’arrive toutefois pas à situer Proust en tant qu’écrivain du devenir-animal dans Proust et les signes. Il réédite son ouvrage trois fois et mentionne le terme «araignées» dans la dernière page de la dernière édition, mais il n’y a pas su concevoir Proust comme l’auteur du devenir-araignée.

    Si nous situons Proust au niveau du devenir-araignée, il nous est facile d’accéder au concept des signes comme symptômes et aussi de lier les signes et la machine avec le devenir. Notre perception suit le parcours de l’araignée qui tisse sa grande toile, dans la Recherche, et nous pouvons alors explorer de nombreux concepts deleuziens avec les vibrations de la toile de Proust.

    1)Deleuze fait référence à cet ouvrage sous le nom de la «Recherche» dans Proust et les signes, Nous reprenons son expression.  2)Anne Sauvagnargues apprécie ainsi le remaniement de Deleuze sur Proust; « Les remaniements de son travail sur Proust offrent un bon modèle de cet usage très particulier de la reprise, du texte perpétuel qui caractérise l’élaboration de sa pensée. Les trois versions successives de 1964, 1970 et 1976 transforment radicalement l’énoncé initial, qui ne se trouve pourtant pas renié, mais prolongé et en quelque sorte remanié par les prolongements qu’il spécifie, et dont certaines formulations se retrouvent inchangées dans les livres sur le cinéma […]». Voir SAUVAGNARGUES A., Deleuze et l’art, Paris, PUF, 2005, p. 15-16.  3)Même Ronald Bogue qui a synthétisé les critiques littéraires de Deleuze, n’a pas poussé au-delà des deux premiers niveaux des signes et de la machine dans Deleuze on literature. Dans Deleuze et les écrivains, le livre consacré aux critiques littéraires de Deleuze, les analyses de trentaines critiques n’ont pas atteint au niveau où Proust est désigné comme écrivain du devenir. Voir BOGUE Ronald, Deleuze on literature, Routledge, New York, 2003, p. 47. Et voir aussi GELAS Bruno, (sous la direction de), Deleuze et les écrivains, Littérature et philosophie, Édition Cécile Defaut, Nantes, 2007  4)Le concept du «devenir-araignée» n’est mentionné qu’une fois dans l’ensemble des ouvrages de Gilles Deleuze : «[…] chez Proust, le sujet d’énoncé assumant tout le mouvement tandis que le sujet d’énonciation reste couché, au coin de sa toile comme une araignée (le devenir-araignée de Proust).» Voir Deleuze G. et Guattari F. Kafka, pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 61.

    2. Les idees du devenir-animal et du devenir-araignee

    L’araignée, bien qu’elle ait des yeux, n’a presque aucune acuité visuelle. Elle n’a ni oreille, ni nez, et donc il n’a quasiment aucune faculté auditive ou sens de l’odorat. Elle perçoit la présence de ses proies à travers les vibrations de sa toile et les attrape en ayant recours au sens du toucher. D’après Deleuze, la Recherche est un grand réseau semblable à une toile d’araignée et le narrateur de ce roman est l’animal qui l’a tissée. Grâce à sa très grande toile, il aperçoit les signes des personnages et des objets, et il apprend les événements et les relations des personnages à la manière d’une araignée qui perçoit sa proie. Dans la vibration «des signes mondains», «des signes d’amour», «des signes sensibles», «des signes d’art», le narrateur connaît le monde en tant qu’araignée.

    Ce passage du dernier paragraphe de Proust et les signes implique que la perception du Narrateur-araignée s’appuie entièrement sur la vibration des signes partout présents en filigrane dans la Recherche. Il est très réactif aux signes. Il se déplace rapidement quand il perçoit une vibration, même si celle-ci est faible. Étant donné que le narrateur-araignée n’a pas de yeux, de nez ou d’oreilles, il réagit seulement aux signes, s’élançant sur eux dès qu’ils paraissent. Dans sa saisie des signes, il est totalement machinique. Il saisit les signes à la vitesse d’une machine, machine littéraire.

    Le Narrateur, en tant que machine, devient araignée, mais ne ressemble pas à l’araignée. Quand nous nommons Proust un auteur du devenir-araignée, cela ne signifie pas qu’il ressemble à l’araignée. Le Narrateur chez Proust devient araignée à condition qu’il soit affecté impersonnellement, c’est-à-dire, qu’il fasse bloc avec l’araignée, un bloc où coexistent les éléments humains et les éléments arachnéens.

    Il est nécessaire ici de parler du concept de devenir-animal chez Deleuze, parce que c’est un concept essentiel pour saisir ses critiques post-littéraires. Le devenir se différencie de l’être, qui est toujours fixe. Le devenir-animal ne signifie pas devenir animal en tant qu’animal fixe. Le devenir-animal n’est pas une métaphore mais une réalité, et l’homme devient réellement animal. De plus, la rencontre entre les éléments humains et les éléments animaux forme un bloc qui n’est ni humain, ni animal. Le devenir-animal est l’alliance entre l’humain et l’animal pour un état durable de coexistence des deux éléments.

    Nous ne pouvons pas appréhender le concept de devenir-animal en termes de ressemblance ou d’analogie, il s’agit plutôt d’un «être-entre» qui produit des moléculaires ou des particules: en disant que l’homme devient animal, on ne parle pas de l’apparence de l’animal ou de son imitation, mais de particules qui instaurent des «rapports de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur», et qui entrent dans «une zone de voisinage ou de co-présence»6). Dans le processus de mouvement de ces particules, le principe de proximité ou d’approximation fonctionne toujours activement. En d’autres termes, le devenir-animal consiste en ce que la particule humaine et la particule animale entrent en voisinage et émettent tels rapports de mouvement et de repos ou de vitesse et de lenteur. Ce qui se passe dans la zone de voisinage, c’est une hecceité qui est contingente, éventuelle et indéterminée.

    D’une certaine manière, «tous les devenirs sont moléculaires»7), qu’il s’agisse du devenir-animal, ou d’un devenir-autre. Les moléculaires ou les particules émis par les sujets produisent le mouvement et la vitesse, c’est le devenir-moléculaire. Si deux sortes de particules venues de deux sujets différents forment une zone de co-présence, nous pouvons appeler cette zone un bloc. Ce bloc a un caractère indéterminant et indiscernable. Le bloc du devenir-animal se forme dans une zone qu’on ne peut pas discerner des autres zones voisines. Tout devenir procède de ce processus du mouvement des particules ou des moléculaires en état de bloc dans la zone de co-présence. Étant donné que les particules humaines et les particules animales se mêlent dans ce bloc, on ne pourrait pas nier que le devenir-animal ne passe toujours par le devenir-moléculaire. Le bloc du devenir-animal produit non pas l’animal molaire, mais l’animal moléculaire. Ce bloc est le point où la singularité des grands écrivains fleurit.

    Les écrivains du devenir-animal sont souvent appelés anomaux ou outsiders car ils se situent dans les zones de voisinage et produisent sans cesse des caractéristiques inhumains. En restant dans une zone objective d’indétermination ou d’incertitude, ils nous évoquent quelque chose de commun et d’indiscernable entre les hommes et l’animal.8) Deleuze a mentionné le devenir-chien de Kleist, le devenir-porc-épic de Lawrence, le devenir-taupe de Kafka, le devenir-veau de Moritz, etc.9) Ces écrivains n’imitent pas simplement l’animal ou ne prennent pas l’apparence d’animaux, mais ils cherchent plutôt à produire des particules inhumaines et inanimales dans la zone de voisinage, plus concrètement dans le bloc pour montrer leur singularité. Les écrivains qui s’arrêtent au niveau d’imitation ou du paraître sont considérés comme normaux, pourtant les écrivains du devenir-animal sont considérés comme singuliers, anomaux ou outsiders. Ceux-ci ont un devenir plus accompli, car il est plus éloigné des êtres molaires, c’est-à-dire des humains molaires et des animaux molaires.

    Le devenir-animal est totalement différent du devenir animal. Le trait d’union du devenir-animal souligne qu’il ne s’agit pas de l’animal en tant qu’être molaire dans un sens traditionnel. Le devenir animal tend vers l’animal molaire et le point animal, en revanche le devenir-animal longe l’animal moléculaire et la ligne animale. Le devenir animal procède de l’arrêt, et le devenir-animal, lui, procède du mouvement et du flux. Les écrivains qui sont dans la ligne du mouvement et du flux engendrent les animaux moléculaires.

    Dans ce sens, nous pouvons dire que le devenir-animal passe toujours par le devenir-moléculaire et qu’il est une sorte de transformation littéraire du devenir-moléculaire. Les écrivains deviennent animaux pour autant qu’ils extraient les particules animales moléculaires et les amènent dans le bloc inhumain et inanimal. Les écrivains ne deviennent qu’animaux moléculaires. Quand le héros de Kafka se voit devenir-insecte dans la Métamorphose, il devient un insecte moléculaire qui n’est ni humain, ni coléoptère, ni hanneton, ni bousier, mais qui pourtant les devient.10) Le devenir-araignée de Proust, lui aussi, est une sorte de devenir-animal et de devenir moléculaire. Proust produit non pas le corps organique molaire, mais l’araignée moléculaire qui perçoit la vibration des signes.

    5)Deleuze G., Proust et les signes, Paris, PUF, 1976, troisième édition, p. 218. Dans cet article, nous faisons référence de la troisième édition de ce livre qui comporte la conclusion de la deuxième partie «Présence ou fonction de la folie, Araignée».  6)Gilles Deleuze & Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 334.  7)Ibid., p. 337.  8)Ibid., p. 335.  9)Gilles Deleuze, Critique et Clinique, Paris, Éditions de Minuit, 1993. p. 12.  10)Kafka, pour une littérature mineure, op.cit., p. 67-68.

    3. La folie : du pathos aux moleculaires

    Si nous approchons Proust et les signes à travers le concept du devenir-araignée, nous pouvons analyser la Recherche du point de vue de la folie, et ainsi ouvrir une nouvelle voie d’interprétation.11) Bien sûr, il ne s’agit pas de savoir si Proust est fou, mais l’étude montre comment se présente et fonctionne une certaine folie.

    Deleuze remarque la folie de deux personnages, Charlus et Albertine. Le Narrateur chez Proust est très sensible aux signes qu’ils émettent. D’après lui, Charlus et Albertine ne sont pas des personnages du logos avec une sexualité masculine ou féminine, mais ils ont plutôt la sexualité du pathos, qui n’est ni masculine ni féminine. Doués de belles paroles et de bons sens, ils ne montrent que discrètement colère, rancune, sadisme ou homosexualité, qui sont considérés comme une sorte de violence ou de folie. Les signes qu’ils émettent paraissent raisonnables et conforme au sens commun, mais en réalité ces signes révèlent leur folie quelque adroitement qu’ils s’y prennent.

    Les mots bien organisés et les phrases bien agencées qui sont énoncées par ces deux personnages se mêlent à l’injure, la provocation et la profanation dans leur discours, et cet ensemble forme une «nébuleuse»12) d’après Deleuze. Les paroles de Charlus et celles d’Albertine élaborent un monde de folie en forme de nébuleuse qui s’étendrait largement au-delà des étoiles, et ce qui brille d’un bout à l’autre de la Recherche, c’est leur folie. De la nébuleuse-Charlus et de la nébuleuse-Albertine découlent des signes involontaires qui résistent à la raison et au logos, et qui les font fuir et nous précipitent dans la folie et dans le pathos. Au coeur de ces nébuleuses, les signes se rencontrent dans l’anarchie et la violence et brillent comme des étoiles les discours transversaux aberrants.

    Dans Proust et les signes, Deleuze compare l’amour-logos à amour-pathos. Le logos a la structure organique d’un grand animal, le pathos au contraire est fait de parties indépendantes et non-organique comme un végétal. Le pathos est constitué de signes de violence et d’une nébuleuse de folie, et se répand partout dans les paroles d’Albertine et de Charlus comme les racines et les tiges d’un végétal.

    Deleuze a déjà évoqué les corps non-organiques, et son concept d’amour ne signifie pas l’amour entre des corps organiques. Même les différents membres d’un même corps s’orientent chacun, de façon individuelle, vers un amour. Dans les toiles d’araignée de l’oeuvre proustienne, chaque toile cache son propre amour et le garde dans ses cloisons, et il n’y a pas d’unification en un seul amour intégral.

    L’amour végétal, autrement dit le pathos d’amour, se métamorphose en amour rhizomique dans les post-pensées deleuziennes. Dans Mille Plateaux, l’amour végétal se concrétise en une structure végétale non-organique, le rhizome. Le rhizome a plusieurs racines qui ne se rencontrent pas en une tige commune, mais s’articulent en ligne «sans points ni positions fixes»14). Il n’a ni structure arborescente, ni racine centrale et consiste en une structure du pathos. Il ne tend pas à l’unification organique du logos. Le végétal rhizomique est semblable à la folie du pathos, tout comme l’amour rhizomique est semblable à l’amour schizoïde.

    Le concept de cloison sexuelle évolue vers celui de bloc d’amour dans les post-pensées deleuziennes. Comme nous pouvons le voir dans les amours de Charlus et ceux d’Albertine, Proust recherche toujours l’amour et des parties mâles et des parties femelles d’un corps. Cette forme d’amour que Deleuze appelle cloison dans Proust et les signes se transforme en bloc dans Mille Plateaux. Le bloc, séparé des souvenirs des amours précédents et des points fixes d’homme ou de femme, se forme dans une zone de voisinage et d’indiscernabilité.

    Le bloc d’amour a aussi caractère de segmentarité; les individus n’imitent pas l’amour passé ou le point de souvenir de l’amour, mais tracent les lignes pour un nouvel amour, et dans chaque ligne, ils rencontrent d’autres amours qui ne se lient jamais aux amours précédents. La ligne segmentaire qui rompt avec l’amour précédent rencontre un plan d’immanence propre au nouvel amour, plan d’immanence qui sera à son tour détruit par l’amour suivant. L’amour trace ainsi une ligne de fuite. La ligne des amours de Charlus et d’Albertine, d’une part, ne renvoie pas au point de souvenir de l’amour, d’autre part, elle forme le bloc qui fait se rencontrer autre objet en fuite. Ce bloc d’amour est donc un devenir qui permet «la coexistence des mouvements asymétriques»; il représente «la ligne de fuite» et «la déterritorialisation»15).

    Les sexes séparés par une cloison dans Proust et les signes deviennent les sexes moléculaires, les «n» sexes dans Mille Plateaux au fur et à mesure que la philosophie deleuzienne s’approfondit. Le bloc, ayant modifié la cloison, produit mille sexes qui sont difficiles à discerner du sexe fixe. Dans le corps d’Albertine ou de Charlus coexistent «les sexes conjugués divers qui sont comme “n sexes”, c’est-à-dire, sexes infinis, par quoi l’amour passe»16). Le Narrateur du roman, en déployant les toiles pour saisir les signes dissimulés de mille sexes, devient araignée pour percevoir les moléculaires de sexe à travers les amours fols d’Albertine ou de Charlus.

    Nous pouvons voir que Deleuze, dans Mille Plateaux, se concentre plus sur l’amour d’Albertine, ce serait parce qu’elle a beaucoup de caractéristiques du devenir-animal; il résume le «devenir-plante» et le «devenir-cheval» d’Albertine en une sorte devenir-animal passant par le devenir-moléculaire.

    Albertine devient plante et cheval en s’évadant le long de la ligne de fuite dans le mouvement qui produit le végétal moléculaire et le cheval moléculaire. Le narrateur, à travers la toile d’araignée, expérimente une série de «procès de sommeils, procès de jalousie, procès d’emprisonnements»18). Le narrateur fait l’expérience du devenir-araignée, de sa passion pour elle à l’annonce de sa mort, et il n’a de cesse de tout savoir sur Albertine et n’arrête jamais d’hérisser ses poils tactiles.

    Deleuze, sans savoir ce que l’amour fou de la Recherche peut développer grâce aux concepts du rhizome, du bloc, des mille sexes et encore du devenir, s’est contenté de l’expliquer avec la nébuleuse, le cloison et le végétal dans Proust et les signes. Pourtant nous pouvons lier ses pré-concepts sur Proust aux post-concepts; la cloison-le bloc, le végétal-le rhizome, la nébuleuse-le moléculaire, le narrateur-araignée-le devenir-animal(devenir-végétal).

    11)Deleuze a été invité à la table ronde que Serge Doubrovsky de Cahiers Marcel Proust a présidée avec Roland Barthes, Gérard Genette, Jacques Bersani, et d’autres en 1975, année précédant la dernière édition de Proust et les signes. Ces chercheurs proustiens ont accueilli de façon tout à fait positive l’introduction dans la Recherche d’une dimension de folie, qu’ils ont jugée singulière et originale. Jacques Bersani, en particulier, a souligné que l’étude deleuzienne sur Proust est une des trois grandes critiques proustiennes du 20e siècle, et propose un nouveau regard sur la Recherche. Voir: Cahiers Marcel Proust, études proustiennes, nouvelle série, n˚7, Paris, Gallimard, 1975, p. 87-116, Gilles Deleuze, «Table ronde sur Proust», Deux régimes de fous, testes et entretiens1975-1995, Pairs, Éditions de Minuit, 2003, p. 51, Jacques Bersani, Les critiques de notre temps et Proust, Paris, Garnier, 1971, p. 147∼158.  12)Proust et les signes, op.cit., p. 208.  13)Ibid., p. 210.  14)Mille Plateaux, op.cit., p. 15.  15)Ibid., p. 360.  16)Ibid., p. 341.  17)Ibid., p. 337.  18)Gilles Deleuze, Dialogues, Paris, Flammarion, 1977, p. 145.

    4. La condition de l’amour : le mensonge, la jalousie, la vitesse et le secret

    Le Narrateur devient aussi araignée quand il éprouve de l’amour. L’amour entraîne l’attachement à une personne, jusqu’à l’obsession de toujours conserver l’objet aimé près de soi. Dans la Recherche, le narrateur se concentre sur Albertine, et fait tous ses efforts pour procurer son amour. Mais son amour lui procure désespoir et déconvenue, parce qu’elle se cache dans le secret et répète les mensonges. La jalousie le possède entièrement, et devient plus forte que l’amour lui-même.

    Le narrateur souhaite qu’Albertine lui consacre totalement ses gestes et ses caresses, mais elle garde, de son côté, un monde inconnu qui appartient à ses souvenirs et à sa vie secrète avec ses amies. Elle se cache derrière par les mots d’amour qui embellissent leur relation. Pourtant ses gestes fausses et ses paroles fictives, même quand elle est enfermée dans la maison du Narrateur, deviennent signes et se dévoilent indirectement. Deleuze comprend bien que la description de l’amour de Proust est excellente non pas à cause de son bonheur ou de sa plénitude de joie, mais à cause du mensonge et de la jalousie.

    Cet aspect de l’amour apparaît aussi bien dans l’amour de Swann pour Odette. Odette est célèbre dans la vie mondaine et garde insidieusement les secrets, et dès le début de leur amour, Swann perd confiance en elle. Dans les nombreux signes mensongers émis par elle, Swann s’aperçoit de plus en plus de ses dissimulations. Il devient de plus en plus jaloux de la posséder, mais son désir ne réalise jamais du fait qu’Odette se déguise toujours dans le mensonge. Le Narrateur-araignée apprend la puissance de la jalousie et du mensonge dans l’amour de Swann et d’Odette puisque sa toile est très sensible à les saisir à travers leurs gestes et leurs paroles. Il apparaît que le devenir-araignée fonctionne aussi bien dans les amours entre Narrateur et Albertine que dans la relation entre Swann et Odette.

    Ce caractère de l’amour se vérifie plus clairement dans l’amour homosexuel: l’amour d’Albertine, celui de Mlle Vinteuil et celui de Charlus. La série de leurs amours dans lesquels le mensonge et la jalousie se distinguent est plus attachée aux amours homosexuelles qu’aux amours hétérosexuelles. D’après Proust et les signes, l’amour chez Proust vise souvent «l’Hermaphrodite»20) comme nous voyons dans le Sodome et Gomorrhe de la Recherche. Le Narrateur ne parvient jamais à aimer Albertine autant qu’elle aime les filles. De même Charlus a tant de bonheur dans l’amour homosexuel que le Narrateur ne s’intéresse pas du tout à l’amour hétérosexuel. Sodome représente patiellement l’amour homosexuel féminin et Gomorrhe, l’amour homosexuel masculin. Cette forme d’amour n’a pas de fécondité par elle-même, mais par contre elle est féconde et puissante au sens où elle crée la tension entre les amants, et provoque mille mensonges et mille jalousies.21)

    L’hermaphrodite, dans ce cas, signifie que coexistent les hommes et les femmes dans un individu pour s’offrir aux autres sexes toujours différents. Un corps a les sexes séparés et cloisonnés et produit les deux séries homosexuelles divergentes. L’hermaphrodite est fécondé par soi-même comme les plantes, elle appartient au règne végétal.

    L’analyse sur la jalousie et les mensonges amoureux dans Proust et les signes est remarquable, pourtant elle ne nous dit pas comment ces caractères de l’amour fonctionnent et se connectent dans le plan de la Recherche. Deleuze le concrétise dans les post-études (littéraires), surtout avec l’usage des concepts de la vitesse et du secret qui renforcent le fonctionnement de la jalousie et du mensonge.

    Le Narrateur ne s’aperçoit pas de la vitesse ou de la lenteur d’Albertine, quand il la voit pour la première fois parmi les jeunes filles et même quand il l’enferme dans sa maison. En tant qu’individu composé de particules et de molécules, elle n’est jamais une femme molaire idéale. La jalousie qui vient du malentendu du mouvement de cette Albertine moléculaire envahit le Narrateur, et il échoue dans son amour pour elle à cause du désaccord de vitesse. Albertine est, donc, «en retard par vitesse» et «se transforme en folle vitesse de son attente»22).

    La vitesse peut s’appliquer également à la circulation secret. Le secret d’Albertine ou d’Odette est bien structuré quant à sa forme mais manque de contenu. Étant donné que leurs secrets ne sont rien de sérieux, le contenu est peu de chose. Pourtant la forme de leurs secrets a une structure solide, et les gens aiment le secret pour le secret, sans égard au contenu.

    C’est que les femmes n’ont pas du tout la même manière de traiter le secret. Les hommes leur reprochent tantôt leur indiscrétion, leur bavardage, tantôt leur manque de solidarité, leur trahison. Et pourtant c’est curieux comme une femme peut être secrète en ne cachant rien, à force de transparence, d’innocence et de vitesse. L’agencement complexe du secret, dans l’amour courtois, est proprement féminin et opère dans la plus grande transparence. Célérité contre gravité.23)

    En ce qui concerne la vitesse du secret, nous pouvons appréhender son aspect; plus le secret est bien organisé et bien structuré, plus il est léger et se diffuse partout. Albertine et Odette ne cachent pas le secret, de plus, elles le transforment en secret de polichinelle à travers leur bavardage. Ironiquement, elles sont secrètes grâce à leur transparence. Les secrets des femmes sont toujours légers, rapides et moléculaires; c’est la raison pour laquelle elles peuvent conserver leur secret. Par contre, les secrets des hommes sont graves, sérieux et molaires, et, ils finissent par tout dire sans plus rien cacher. Le contenu du secret est moléculaire, et sa forme se modifie dans le mouvement de la vitesse.

    La vitesse du secret de la femme est conjointe à la jalousie de l’homme, et l’amour de Proust s’achève toujours sur un échec. Deleuze l’a bien vu et a utilisé les exemples des nombreuses amours de Proust. Le Narrateur qui apprend les mensonges et les secrets à travers les paroles et les gestes des femmes dans la toile de la Recherche devient araignée dans la saisie de la vitesse. Cette saisie se fait toujours non pas dans l’arrêt molaire, mais dans le mouvement moléculaire. Le Narrateur produit l’araignée moléculaire et le devenir-araignée.

    D’après Deleuze, l’amour de Proust a pour but de montrer que la jalousie est plus vaste et plus puissante que le bonheur. Ce que l’amour représente lors des moments de bonheur, de joie ou de plaisir n’est qu’une opinion supposée, un préjugé. L’affect d’amour se produit lorsque les écrivains subvertissent et «renversent l’ordre que l’opinion suppose»24). Proust produit l’affect à travers ses descriptions minutieuses de la jalousie. C’est là que nous pouvons découvrir le style original de Proust.

    19)Proust et les signes, op.cit., p. 16.  20)Ibid., p. 17.  21)«L’essence, en amour, s’incarne d’abord dans les lois du mensonge, mais en second lieu dans le secrets de l’homosexualité: le mensonge n’aurait pas la généralité qui le rend essentiel et significatif, s’il ne se rapportait à celle-ci comme à la vérité qu’il cache. Tous les mensonges s’organisent et tournent autour d’elle, comme autour de leur centre. L’homosexualité est la vérité de l’amour. C’est pourquoi la série amoureuse est réellement doubleelle s’organise en deux séries qui ne trouvent pas seulement leur source dans les images de mère et de père, mais dans une continuité phylogénétique plus profonde. L’Hermaphroditisme initial est la loi continue des séries divergentes; d’une série à l’autre, on voit constamment l’amour engendrer des signes qui sont ceux de Sodome, et qui sont ceux de Gomorrhe.» Proust et les signes, op.cit., p. 99.  22)Mille Plateaux, op.cit., p. 332.  23)Ibid., p. 354.  24)Gilles Deleuze & Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 1991, p. 178.

    5. La petite phrase de Vinteuil : de l’immaterialite a la Ritournelle

    Le Narrateur du devenir-araignée est aussi sensible aux signes musicaux, surtout lorsque ces signes émanent de la petite phrase de Vinteuil dans la Recherche. Cette musique est très présente dans l’amour entre Swann et Odette. Les scènes de leurs rencontres sont toujours accompagnées de cette phrase, qui est leur thème musical. Dans Proust et les signes, Deleuze remarque l’immatérialité de la musique, c’est-à-dire «l’apparence sonore d’une entité toute spirituelle»25). En revanche, les instruments comme le piano ou le violon ne sont ni immatériels ni spirituels, de même les pays, les goûts, les amours ou les personnes, alors que la petite phrase de Vinteuil n’est jamais matérielle.

    L’immatérialité de la musique permet au Narrateur-araignée de découvrir la vérité des signes, car seuls les signes des arts montrent l’essence de l’oeuvre d’art et la phrase apparaît chaque fois avec une différence ultime et absolue, apportant continuellement de nouvelles découvertes. La répétition, travestie et riche, permet de surmonter la répétition nue et simple et d’approcher la différence interne et qualitative en elle-même.27)

    Dans les études proustiennes de Proust et les signes, Deleuze s’intéresse à la petite phrase de Vinteuil en raison de son immatérialité et de sa différence, mais plus tard, dans ses post-études, il se tourne vers la combinaison de la musique et d’autres éléments comme les paysages ou les personnages en ayant recours au concept de la ritournelle ou du devenir-musique.

    La phrase nous paraît différente à chaque fois que nous l’écoutons. Selon Deleuze, c’est parce qu’elle apparaît toujours avec un autre personnage ou avec un autre paysage. Cela peut être un personnage sans importance ou un paysage à peine modifié, pourtant ces petits éléments confèrent à la phrase une image différente. Ces éléments extraient la production moléculaire de la musique des personnages et des paysages différents, et c’est là que le devenir-musique se présente.

    Pour Swann, la phrase est liée au paysage du bois de Boulogne et au personnage d’Odette, et a un rôle de «pancarte» puisque cette musique désigne le bois de Boulogne et le personnage. Mais la situation n’est pas simple, car la phrase n’est pas toujours associée à cette personne ou à ce paysage. Pour Swann, la phrase n’est ni fixe ni stable, à l’image de l’amour pour Odette. Au fur et à mesure que son amour pour Odette se teinte de joie ou de jalousie, la phrase prend différentes couleurs à travers lesquelles elle acquiert un être/style propre.

    Pour expliquer cet effet de la musique, Deleuze utilise les termes de «motifs territoriaux, contre-points territoriaux, visages rythmiques, personnages rythmiques et paysages mélodiques». Le motif de la petite phrase de Vinteuil est, d’une part, indépendant des milieux intérieurs des impulsions : c’est un motif territorial. Le motif de la petite phrase de Vinteuil, d’autre part, est indépendant du milieu extérieur des circonstances : c’est un contre-point territorial. Ces deux éléments ont une autonomie d’expression car ils peuvent avoir des relations internes et externes. Pour Swann, la phrase a un rôle de motif territorial et de contre-point territorial. Elle est fixe parce qu’elle évoque Odette mais variable parce qu’elle change en fonction de la relation qu’il a avec Odette. Nous pouvons donc constater qu’elle ne reste pas pancarte ou affiche mais devient un style.

    Si nous nous éloignons de la situation simple d’un rythme qui serait associé à un personnage, à un sujet ou à une impulsion, nous pouvons découvrir les personnages rythmiques. Ces personnages ne restent pas constants mais augmentent ou diminuent d’une mesure par l’ajout ou le retrait de sons, les durées croissantes et décroissantes, l’amplification ou l’élimination. Par ailleurs, si nous nous éloignons d’une mélodie qui serait associée à un paysage, nous pouvons voir que la mélodie forme elle-même un paysage sonore qui a en contre-point toutes les caractéristiques d’un paysage potentiel. D’après Deleuze, Proust a réussi à faire en sorte que la musique garde les personnages rythmiques et les paysages mélodiques tout en utilisant convenablement les motifs territoriaux et les contre-points territoriaux.

    Proust, dans la description répétitive de la petite phrase de Vinteuil et du bois de Boulogne, ne s’arrête pas au degré où Swann est heureux et assuré de posséder Odette et le bois de Boulogne comme son territoire. Il avance rapidement là où Odette prend son autonomie sous sa propre impulsion, pour devenir indépendante de la musique et du paysage ayant appartenus à Swann: de là apparaissent un «personnage rythmique» et un «paysage mélodique» d’après Deleuze. Dans la répétition du rythme et du paysage, le personnage et le paysage ont plusieurs aspects.

    Si la répétition de la phrase nous apporte la différence, autrement dit si elle nous apporte le personnage rythmique et le paysage mélodique, c’est parce que le motif et le contre-point varient. Leur vitesse de déroulement augmente ou en diminue, leur force sonore croît ou décroît. La phrase de Vinteuil et le Bois de Boulogne deviennent la forme picturale de la musique. Dans les nouvelles situations et d’autres conjonctions (tantôt à une vitesse folle, tantôt avec une lenteur profonde), la phrase amène l’amour de Swann pour Odette dans un autre agencement. Deleuze appelle ce phénomène devenir-musique ou la ritournelle. Si cette phrase reste sous la possession ou le territoire de Swann et rappelle continuellement Odette ou Boulogne, le devenir-musique ou la ritournelle aboutiraient à un échec. Par contre, si cette phrase sort du territoire de Swann et entre en conjonction avec des personnages et des paysages, le devenir-musique ou la ritournelle peuvent se réaliser. La pancarte ou l’affiche finissant par fonctionner comme l’arrêt ou le stéréotype, le style, le propre style de Proust, apparaît.

    La vraie ritournelle, en transcendant le temps et l’espace, produit la différence par la répétition éternelle, la phrase «se compose non seulement en elle-même, mais avec d’autres sensations variables, celle d’une passante inconnue, celle du visage d’Odette, celle des feuillages du bois de Boulogne, tout se termine à l’infini dans la grande ritournelle», et elle métamorphose «le chant des univers, le monde d’avant l’homme ou d’après»29) et le cosmos planétaire. Le Narrateur devient araignée en saisissant les sons qui le transpercent et les notes qui le poursuivent, et apprend la ritournelle et découvre «la petite phrase du cosmos»30) qui brillent les nébuleuses.

    25)Proust et les signes, op.cit., p. 51.  26)Ibid., p. 53.  27)Gilles Deleuze, Différence et Répétition, Paris, PUF, 1968, p. 36.  28)Mille Plateaux, op.cit., p. 392-3.  29)Qu’est-ce que la philosophie, op.cit., p. 179.  30)Mille plateaux, op.cit., p. 432.

    6. Du symptome a la clinique

    Dans Proust et les signes, Deleuze remarque que Proust possède un incomparable talent pour saisir les signes et les symptômes du monde de la même manière que son narrateur effectue sa mission de la recherche avec son corps d’araignée. C’est pourquoi il appelle souvent la Recherche la nébuleuse, la toile d’araignée ou les signes cachées. Toutefois les critiques modernes psychanalytiques considèrent Proust comme un malade pathologique et, Deleuze regrette qu’ils s’emploient à analyser, dans la Recherche, sa maladie, son manque de désir, le traumatisme de son enfance ou la structure familiale transformée en bouc émissaire.

    Deleuze, dans ses études post-littéraires, précise que Proust n’est pas un sujet d’interprétation psychanalytique; de plus, il se charge de défendre cet écrivain et ouvre une nouvelle voie: celle de l’interprétation schizophrénique. Dans son analyse, il montre que Proust exécute des trajets de recherche, déploie le parcours de la recherche temporelle et spatiale et trace la ligne de fuite. Son ambition est de montrer que la vérité de la recherche est dans la production du désir, non pas dans l’accusation du manque de désir.

    Deleuze constate que notre narrateur-araignée, grâce à son très grand désir de recherche, ne s’installe pas, ne cesse pas de chercher mais, de manière schizophrénique, il se produit les recherches multiples au long de ses grands fils. Le narrateur ne peut atteindre son but qu’à condition de ne jamais s’arrêter, se reposer, se sédentariser; dans ce cas, nous pouvons l’appeler une machine désirante qui génère une production positive et créative du désir.

    Dans le prolongement de cette idée de la production du désir, nous pouvons relier Proust à la notion de «santé». Proust n’est pas malade, il est plutôt un médecin, «médecin de la civilisation»32), car il essaie, sans arrêt, d’appréhender les divers symptômes des mentalités générales des humains tout en restant en bonne santé.

    Proust procède à un essai clinique et pose un diagnostic sur son monde de recherche. Il s’angoisse de la maladie de sa société moderne et de son entourage. Le monde est rempli d’éléments insupportables qui lui font entendre et voir ce qu’il ne devrait ni entendre ni voir. Proust, souffrant de ces éléments, s’efforce de ne pas perdre la santé, et sa santé peut être protégée puisqu’il est assez résistant pour discerner la maladie du monde. S’il n’avait pas été en assez bonne santé, il n’aurait pas eu de succès dans la recherche, en d’autres termes, s’il avait été simplement névrotique, il n’aurait pas effectué le long voyage de recherche.

    Plus concrètement, Proust nous montre des trajectoires du temps et des espaces au lieu d’introduire le désir métamorphosé en libido. La raison pour laquelle le Narrateur-Araignée cherche à saisir les signes n’est pas de s’attacher aux souvenirs du passé, mais d’établir une cartographie. Dans le concept de la cartographie, la carte se distingue du calque comme la schizophrénie se distingue de la psychanalyse; le calque s’appuie profondément sur la mémoire inconsciente dans un sens commémoratif ou monumental, en revanche la carte ne reproduit pas un inconscient fermé sur lui-même mais le construit. Dressée dans l’expérimentation, la carte se superpose pour trouver un remaniement dans la suivante au lieu de chercher une origine. Les trajectoires du Narrateur se juxtaposent et se superposent dans les itinéraires nomades qui «composent ensemble un entremaillage de parcours, dans une immense découpe de l’espace et du temps qu’il faut lire comme une carte»34).

    31)Gilles Deleuze & Félix Guattari, L’Anti-OEdipe, Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 380.  32)Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 195.  33)Critique et Clinique, op.cit., p. 14.  34)Ibid., op.cit., p. 83.

    7. Conclusion : le style de Proust

    Nous avons examiné le processus du développement des études proustiennes chez Deleuze, et nous avons vu que Deleuze évolue dans toutes les étapes de ses pensées après la troisième édition de révision attentive de Proust et les signes. Les concepts de l’araignée, de la toile et du devenir sont apparus l’un après l’autre, avant la publication de Kafka, pour une littérature mineure, où se trouve le mot du «devenir-araignée» pour la première fois et la dernière fois dans ses ouvrages, et le concept du devenir se déploie dans Mille Plateaux avec les nombreux exemples de la Recherche et d’autres œuvres littéraires. Cela peut être conçu, pour certains critiques, comme le résultat du travail commun de Deleuze et Guattari, mais nous ne devrions pas considérer simplement le post-intérêt de Deleuze pour Proust comme étant lié à Guattari. Deleuze répète souvent, dans ses post-ouvrages isolés, Dialogues, Francis Bacon, Logique de la Sensation, L’image-temps, Clitique et clinique que Proust, avec un style original, montre bien l’usage mineur de la langue majeure, invente une langue étrangère dans sa propre langue 35), fait résonner ensemble les temps du passé, du présent et du futur comme une superposition cinématographique de plusieurs scènes36), et dessine la force de la sensation en utilisant des échos entre la musique et la peinture 37).

    Proust, selon Deleuze, est un écrivain qui crée un style original et une nouvelle langue concernant la folie de l’amour, le temps de la résonnance et la découverte de la vérité de l’art. Le devenir-araignée est un concept qui unit ces descriptions remarquables de Proust. De plus, Deleuze, sous l’influence de Proust, élargit ses pensées importantes non seulement à la littérature mais aussi aux autres genres d’art comme la musique, la peinture, le cinéma, etc. Néanmoins, il est regrettable que le devenir de l’écrivain, plus précisément, le devenir-araignée, ne soit pas présent dans Proust et les signes. S’il y avait eu une autre édition après la troisième, «Présence et la fonction de la folie, ou l’Araignée», la conclusion du deuxième chapitre aurait pu se déployer dans le troisième chapitre avec la notion du devenir-araignée qui synthétise les études post-littéraires.

    35)Dialogues, op.cit., p.11, Critique et Clinique, op.cit., p. 8.  36)Voir Gilles Deleuze, Image-temps, cinémaⅡ, Paris, Éditions de Minuit, 1985, p. 56, p. 111.  37)Gilles Deleuze, Francis Bacon, Logique de la Sensation, Paris, Seuil, 1983, p. 67.

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