이 논문은 백일천하(1815년 3월-7월)기간 중 비트롤 남작과의 거래에서 나폴레옹의 경찰장관이었던 조셉푸쉐의 연루가능성에 대하여 나폴레옹체제의 전직 고위관리였던 플뢰리 드 샤불롱의 관점을 연구하였다. 이 논문에서는 “플뢰리 드 샤불롱은 그의 회고록에서 푸쉐를 어떻게 소개하는가? 비트롤 남작과의 거래라는 것은 정확히 무엇을 이야기하는가? 그리고 플뢰리의 관점은 과연 편파적이며, 푸쉐의 흑역사에 무슨 영향을 미치는가?” 등에 대하여 고찰한다.
앞서 나열한 문제들에 대한 답을 찾기 위해 첫 번째 부분에서는 Fleuryde Chaboulon의 회고록과 열렬한 나폴레옹 옹호주의를 잘 보여주는 저자의 전기, 그리고 회고록 안에 씌여진 특별하지만 조금은 모호한 백일천하의 역사적 배경 등을 살펴본다.
두 번째 부분에서는 비트롤과의 거래의 세부사항을 저자의 증언을 토대로 재구성한다. 이 거래에 대하여 좀 더 자세하게 이야기하자면 루이18세가 왕좌를 재탈환할 경우, 푸쉐 장관이 자신의 권력을 유지하기 위하여 루이18세와 Gand에 유배된 왕당파들(루이18세의 지인들)과 맺은 비밀동맹을 일컫는다. 비정상적인 이 동맹은 왕당파의 전 고위관리이자 루이18세의 지인인 비트롤 남작을 구해주는 대신 미래에 들어설 왕당파 정부에서 푸쉐가 자신의 관직을 보장받는 것이다. 그렇지만 푸쉐가 원하는 대로 일이 진행된다하더라도, 푸쉐를 증오하는 왕당파들 때문에 결국에는 푸쉐의 경력에 마이너스가 되는 결과를 맞게 된다.
마지막 세 번째 부분에서는 푸쉐를 바라보는 샤불롱의 부정적 시각에 대하여 살펴본다. 첫 째로 우리는 샤불롱의 어조를 통해 푸쉐의 검은 전설에 대한 그의 부정적 시각을 확인할 수 있다.(Fleury는 실제로 전 경찰 장관이었던 푸쉐를 배신자로 간주한다.) 하지만 둘째로 우리는 저자의 편파적인 판단에 반하는 여러 정황들을 통해 오히려 푸쉐는 통찰력 있고 지혜롭다는 것을 알아낼 수 있다. 결국 우리는 푸쉐의 행동들을 이해할 수 있다는 결론에 다다르게 된다.
이러한 여러 가지 사실들을 통하여 볼 때 우리는 역사의 진실을 찾아내기란 늘 어렵다는 것을 배울 수 있으며, 특별한 인물 즉 한 영웅의 신화를 믿는 것은 매우 쉽다는 것 또한 알 수 있다.
Nul autre personnage que Napoléon a incarné le prototype du Grand Homme et a bénéficié d’une légende importante. Hélas, la puissance de cette dernière tend à reléguer en arrière-plan les autres acteurs historiques de la période du Premier Empire (1804-1815) et parfois, à les caricaturer : nous pensons ici à des personnes comme Talleyrand, Murat, Bernadotte… Et puis il existe un personnage que l’on a sans doute caricaturé plus que nul autre : Joseph Fouché(1759-1820).
Aux yeux du grand public, Joseph Fouché apparaît comme le ministre de la Police le plus redoutable qui n’ait jamais existé, une sorte de créateur avant l’heure des polices totalitaires du XXe siècle(Gestapo et NKVD)1). Certes, quelques penseurs et artistes (Balzac, Germaine de Staël, la mémorialiste Victoire de Chastenayou,l’historien Louis Madelin) ont tenté de le réhabiliter et de le comprendre en détail. Mais dans la plupart des cas, nous devons admettre que « la légende noire2) » l’emporte chez Fouché.
L’on sait combien l’Histoire est perméable aux émotions et peut rapidement dégénérer en mythe (cas de Napoléon) et devenir ennemi de la vérité historique – «
Les questions que pose l’affaire et auxquelles nous répondrons sont les suivantes : en quoi consiste exactement l’affaire du baron de Vitrolles ? Comment participe-t-elle à la légende noire de Fouché ? Et enfin, quelles leçons nous aide-t-elle à tirer sur le plan historique?
Pour y répondre, nous aborderons d’une part la présentation générale du document, de l’auteur et du contexte, d’autre part, l’affaire Vitrolles avec le rôle joué par Fouché et ses multiples conséquences. Et enfin, dans une dernière partie, nous tenterons d’analyser objectivement l’attitude spécifique de Fouché et de différencier la légende noire de la réalité historique.
1)Jean Tulard, Joseph Fouché, Fayard, Paris, 1998, p.385. 2)Emmanuel de Waresquiel, Fouché, Les silences de la pieuvre, Tallandier/Fayard, Paris, 2014, p.667.
2.1 Le document, l'auteur et le sujet
2.1.1. L'ouvrage
L’ouvrage3) qu’examine le présent article appartient au registre autobiographique et plus précisément des
Long de 816 pages, les
Le découpage chronologique général des
2.1.2. L'auteur
L’étude de la biographie de notre auteur aide à comprendre son regard favorable sur Napoléon. Comme il nous l’apprend dans la préface à ses
De même, nous remarquons qu’il a été auditeur au conseil d’Etat – organe caractéristique du régime napoléonien qui visait à créer une élite entièrement dévouée à l’Empereur et qui composait un corps de réserve voué au recrutement des préfets9). Le profil de notre auteur évoque bien une figure typique de l’élite napoléonienne, à l’image d’un Cambacérès ou d’un député du Corps législatif. Son titre de « baron » signe par ailleurs son appartenance à la noblesse impériale – idée chère à Napoléon de créer une noblesse nouvelle10), qui mêlerait bourgeoisie et l’ancienne aristocratie proche des Bourbons11).
La trajectoire personnelle de Fleury de Chaboulon témoigne pareillement d’une loyauté sans faille envers Napoléon. Fleury est d’abord l’un de ceux qui a informé l’empereur exilé à l’Île d’Elbe de la situation en France et qui l’a ainsi encouragé à s’évader de l’île méditerranéenne12). A l’inverse d’autres fonctionnaires qui choisiront le camp royaliste ou républicain, pas une seule fois la loyauté de Fleury de Chaboulon ne se démentira durant les Cent-Jours ; une droiture qui atteste clairement de ses sentiments bonapartistes et qui rappelle les « inconditionnels » de l’Empereur comme le général Bertrand ou Savary. Comme beaucoup d’ex-dignitaires napoléoniens, après la chute de la Restauration, Fleury servira politiquement le régime louis-philippien – jusqu’à sa mort en 1835, il sera député de la Meurthe13).
Son existence comblée d’honneurs et de réussite nous aide à saisir toute la reconnaissance que Fleury témoigne à l’égard de l’empereur dans sa préface14), tout comme ses abondantes louanges15). Notre auteur est un fervent bonapartiste.
2.1.3. Joseph Fouche : sujet et rapide biographie
A plusieurs reprises dans ses
La raison en est simple : en tant que ministre de la police, Fouché (1759-1820) est un acteur incontournable du régime napoléonien des Cent-Jours. Et comme nous le savons, il est une figure centrale de la Révolution et de l’Empire16) ; son efficacité de ministre de la Police, tant pour ses actions contre les opposants que pour son soutien (notamment dans sa politique vis-à-vis de la presse17), est reconnue. Mais il est d’autant plus incontournable pour l’historien qu’il n’a pas peur de profiter d’une certaine indépendance et de défier son maître Napoléon.
Ainsi, Fouché participe-t-il au complot de 1808 avec Talleyrand – des conciliabules au cours desquels les deux dignitaires envisagent la mort de l’empereur et voient dans le maréchal Murat un possible remplaçant18). Ainsi, afin de contrer l’expédition britannique àWalcheren, dans le royaume de Hollande, Fouché joue-t-il en 1809 un rôle analogue à celui d’un « chef d’Etat » (Jean Tulard) en faisant armer les gardes nationales françaises et en nommant général-enchef des troupes françaises stationnées à Anvers le maréchal Bernadotte (personnage guère aimé de l’Empereur). Dans une certaine mesure, cet acte ambigu nous amène à considérer Fouché, à la suite d’Etienne de Waresquiel, comme un possible rival de Napoléon19). Par la suite, d’autres affaires20), moins spectaculaires mais tout aussi graves, démontreront sa capacité à braver Napoléon.
Cet esprit de détachement à l’égard de l’empereur prendra tout son relief au cours des Cent-Jours et nous permet de mieux comprendre les réticences de l’auteur vis-à-vis de Fouché.
La période que retranscrit Fleury de Chaboulon dans ses
L’incertitude de la période s’affiche également par le caractère inéluctable de la guerre : à peine est-il revenu au pouvoir que Napoléon se voit décréter sa « mort civile » par les Etats réunis au Congrès de Vienne. Les gouvernements alliés n’admettent pas son retour au pouvoir et comptent bien l’en chasser par les armes24). Dès lors, Napoléon n’a d’autre choix que d’anticiper la guerre, guerre dont le résultat déterminera le sort de la France et de l’Europe –l’Histoire est en quelque sorte suspendue.
Tout pareillement, sur le plan intérieur, la situation est fragile et incertaine : si Napoléon peut se féliciter de l’accueil chaleureux de certaines populations et du soutien de ses partisans, il doit d’abord composer avec des populations inquiètes et lasses des guerres du Premier Empire ; il doit aussi ménager, à l’ouest de la France, des populations au passé chouan25).
Et il doit tenir compte de ses adversaires multiples : outre les forces de gauche – républicains, jacobins et libéraux26) - il y a les forces de droite, que composent les royalistes. Parmi eux, on trouve les ultraroyalistes ou ultras (fidèles à Louis XVIII et à Monsieur,exilés à Gand) mais également les orléanistes (le duc d’Orléans est alors en Angleterre).
Autant de rivaux qui attendent de conquérir la place suprême. Tout en participant aux hésitations de la période, ils questionnent sur
Ce contexte, compliqué au possible, ne peut que favoriser les intrigues – et c’est précisément ce à quoi se livre Fouché avec l’affaire du baron de Vitrolles.
3)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, Les Cent-Jours,Mémoires pour servir à l’histoire de la vie privée, du retour et du règne de Napoléon en 1815, Tome I et II, Imprimerie de C. Roworth, Londres, 1820. 4)Jacques-Olivier Boudon, Histoire du Consulat et de l’Empire, 1799-1815, Perrin, Paris, 2003, p.436. 5)Jacques-Olivier Boudon, Jacques-Olivier Boudon, La France et l’Europe de Napoléon, Armand Colin, Paris, 2006, p.313. 6)Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire du XIXe siècle, Hatier, Paris, 1996, p.110. 7)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, Vol. II , op.cit., p.2. 8)Ibid., p.2. 9)Jacques-Olivier Boudon, op.cit., p.205. 10)Jean-Paul Bertaud, La France de Napoléon, 1799-1815, Messidor/Editions sociales, Paris, 1987, p.145. 11)Jean Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Fayard, Paris, 1987, p.325. 12)Jacques-Olivier Boudon, op.cit., p.293-294. 13)Robert (Adolphe), Cougny (Gaston), « Pierre, Alexandre, Edouard Fleury de Chaboulon, Mandats à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des députés » in Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, disponible sur le site Internet de l’Assemblée nationale. 14)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, Vol. II, op.cit., p.XIIJ. 15)« (…) cette activité, cette force, cette chaleur d’âme, ces inspirations brillantes et ces déterminations soudaines qui n’appartiennent qu’aux hommes extraordinaires, qu’aux hommes de génie » écrit-il (Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, Vol. II, op.cit., p.IIJ). 16)Centrale dans la Révolution par le rôle qu’il a joué à Lyon en tant que représentant de la Convention (surnommé « le mitrailleur de Lyon »), centrale pour avoir participé, en coulisses, à la chute de Robespierre et pour avoir été pendant le Directoire le ministre de la Police. Figure centrale du Premier Empire pour avoir poursuivi la gestion de ce ministère central dans la politique du Premier Empire. 17)Emmanuel de Waresquiel, op.cit., p.420-421. 18)Thierry Lentz, Nouvelle Histoire du Premier Empire, Napoléon et la conquête de l’Europe, Tome I, Fayard, Paris, 2002, p.428-431. 19)Ibid., p.451. 20)Citons l’affaire Ouvrard de 1810 qui amènera Napoléon à le disgracier. 21)Aurélien Lignereux, « Il revient ! Qu’en pensent les Français ? » in L’Histoire n°401, Juillet-Août 2014, p.40-41. 22)Emmanuel de Waresquiel, Benoît Yvert, Histoire de la Restauration, 1814-1830, Editions Perrin, Paris, 2002, p.107. 23)Ibid., p.111. 24)Emmanuel de Waresquiel, Benoît Yvert, op.cit., p.121-122. 25)Jacques-Olivier Boudon, Histoire du Consulat et de l’Empire, op.cit., p.431. 26)Jean Tulard, Napoléon, op.cit., p.431. 27)Ibid., p.125. 28)Ibid., p.127.
3. Les intrigues de Fouche : l'affaire du baron de Vitrolles
3.1. L’affaire du baron de Vitrolles
La première mention de l’affaire du baron de Vitrolles apparaît au coeur du premier volume lorsque Fleury de Chaboulon évoque la capture du duc d’Angoulême – le neveu-même de Louis XVIII, une personnalité royaliste – par les troupes napoléoniennes. Avec cette prise exceptionnelle, Napoléon entend marchander avec la Cour exiléeà Gand. L’idée est simple : en échange de la libération du duc d’Angoulême, Napoléon entend acquérir les «
Au passage, Fouché, avec l’habileté qui le caractérise, en profite pour s’introduire dans ce marchandage ; pour mieux convaincre les royalistes d’y céder, il n’hésite pas à augmenter les enchères : «
Laissons Fleury nous décrire Vitrolles, ce personnage que Fouché a ajouté dans le marchandage : «
Néanmoins, lorsqu’il sentit le vent tourner en 1814, il choisit à nouveau de servir la cause royaliste (avec « sincérité » pour Jean Tulard) et ce fut au cours de la Première Restauration qu’il prit toute son importance. Intime de Talleyrand34), il passe en effet pour être l’un des plus efficaces artisans du retour de Louis XVIII sur le trône 35). Louis XVIII lui en sut gré, et le remercia alors en lui confiant la charge de secrétaire d’Etat du conseil royal, un poste capital dans le gouvernement royaliste36). Le baron de Vitrolles est un hautfonctionnaire royaliste, membre du gouvernement, qui dispose d’un large réseau et qui est en mesure d’influencer le roi.
Que va faire exactement Fouché avec cette personnalité ? Comment va-t-il l’utiliser ? Fleury nous livre des éléments de l’affaire dans le volume II de ses Mémoires : «
Ce qui nous conduit à décrire l’une des plus grandes tractations secrètes des Cent-Jours, que l’on pourrait résumer comme suit : contre la libération d’un noble puissant, qui a l’estime et l’oreille du roi exilé Louis XVIII – le baron de Vitrolles –, Fouché demande à échapper, si d’aventure Napoléon serait défait et qu’il y aurait une seconde restauration monarchique, à la vindicte des royalistes et à conserver son poste de ministre dans le futur gouvernement40) (!). Soit, résumé plus simplement : « La vie d’un homme contre un poste gouvernemental »… Nous avons là un échange digne d’un roman policier historique. Mais la suite est plus surprenante encore : l’émissaire que Fouché enverra auprès des royalistes sera l’épouse du baron de Vitrolles, Madame la baronne elle-même41) ainsi qu’un ami de Fouché, M. Gaillard, «
Chateaubriand, qui se trouve alors aux côtés du roi à Gand, assiste au marché secret. C’est avec une verve méprisante qu’il nous peint la manoeuvre entreprise par Fouché : «
Il nous est donc facile de comprendre pourquoi Fleury de Chaboulon, fervent bonapartiste, nous laisse un portrait pour le moins épicé de Fouché, nous présente Fouché comme un homme qui «
Le plus cocasse dans l’affaire – outre l’alliance de l’ex-jacobin avec les ultraroyalistes ! – est que si l’empereur Napoléon ignore ces tractations, il n’en est pas moins lucide sur les limites de la fidélité de son ministre, comme le remarque Fleury : «
Nous constatons à travers ce charmant « ballet de dupes » toute la partie humaine et ironique de l’affaire : Napoléon, qui se sait trompépar Fouché, attend la victoire pour le punir… Mais la victoire ne viendra pas puisque ce sera Waterloo, une défaite retentissante.
3.2. Les consequences historiques de l'affaire du baron de Vitrolles
Quelles sont les conséquences de l’affaire du baron de Vitrolles? Le marché secret de Fouché a-t-il réussi ? Et si oui, dans quelle mesure?
Après avoir mentionné la défaite de Waterloo, Fleury de Chaboulon écrit de manière lapidaire : «
Si Parallèlement, l’ex-ministre de Napoléon a dû effectuer d’autres manigances pour s’imposer50), l’affaire du baron de Vitrolles représente cependant la pièce-maîtresse de son retour au pouvoir ; elle est son « coup de maître ». En lui sauvant la vie, Fouché s’est fait du baron de Vitrolles un allié crucial en cette période agitée de la Seconde Restauration. Car, comme l’écrit Pasquier, le roi avait en Vitrolles une «
Le triomphe de Fouché se révèle toutefois de courte durée car le roi Louis XVIII, dont le retour sur le trône a été paradoxalement facilité par l’astucieux ministre, est loin d’être naïf ; il connaît Fouché – l’homme qui a voté la mort de son frère pendant la Révolution – et reprendre l’ex-dignitaire de Napoléon lui répugne. Un dégoût dont le comte Beugnot (futur ministre d’Etat pendant la Seconde Restauration) se fait le porte-voix, avec quelque exagération53). Dans cet épisode fameux, Chateaubriand, pour sa part, campe Louis XVIII en victime pleine de grandeur (et nous révèle au passage toute la répulsion que lui inspire Fouché) : «
Pendant un certain temps, celui qui passe pour un « traître » à l’égard de Napoléon, l’ex-conventionnel qui, pour sauver sa peau et son poste, a choisi de s’allier avec les Ultras, peut donc tranquillement poursuivre sa carrière. Et ce, en dépit de la Terreur Blanche et des règlements de comptes visant les anciens bonapartistes… Riche à millions et ministre du roi55), marié à une femme d’illustre famille provençale, Fouché peut entrevoir son avenir avec optimisme.
Cependant, comme il le fera avec Talleyrand, Louis XVIII goûte peu le cynique triomphe : il saura se débarrasser de Fouché avec des manoeuvres politiques56). Vitrolles peut continuer à témoigner sa reconnaissance éternelle, cela n’empêchera pas Fouché d’être révoquépar le roi le 4 janvier 181657), d’être banni de France – il mourra à Trieste, isolé, en 1820.
29)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, vol I, op.cit., p.335. 30)Ibid., p.335. 31)Ibid., p.335. 32)Ibid., p.331. 33)Jean Tulard, Benoît Yvert, La Contre-Révolution, origines, histoire et postérité, Perrin, Paris, 1990, p.514. 34)André Beau, Talleyrand, chronique indiscrète de la vie d’un prince, Royer, Paris, 1992, p.257. 35)Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand : Le prince immobile, Fayard, Paris, 2006, p.437, 447. 36)Ibid., p.514. 37)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, Vol. II, op.cit., p.340. 38)Emmanuel de Waresquiel, Fouché, Les silences de la pieuvre, op.cit., p.541. 39)Ibid., p.340. 40)Evelyne Lever, Louis XVIII, Fayard, Paris, 2012, p.393. 41)Emmanuel de Waresquiel, Benoît Yvert, op.cit., p.136. 42)Christophe Bourachot, Napoléon, La dernière bataille, 1814-1815, Témoignages, Editions Omnibus, Paris, 2014, p.516. 43)Chateaubriand, op.cit., p.343. 44)Jacques-Claude Beugnot, Mémoires du comte Beugnot, ancien ministre (1783-1815), publiés par le comte Albert Beugnot, son petit-fils, tome second, E. Dentu libraire éditeur, Paris, 1866, p.286-287. 45)Marquis de La Maisonfort, Mémoires d’un agent royaliste sous la Révolution, l’Empire et la Restauration, 1763-1827, Mercure de France, Paris, 1998, p.442. 46)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, vol II, op.cit., p.141. 47)Ibid., vol II, p.22. 48)Ibid., vol II, p.42. 49)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, vol II, op.cit., p.388. 50)Parmi celles-ci : création d’une commission provisoire concurrençant le Parlement, persuasion de Napoléon à abdiquer et entrevues confidentielles avec Wellington, l’homme-fort de la situation (Jean Tulard, Benoît Yvert, op.cit., p.380-381). 51)Etienne-Denis Pasquier, Mémoires du chancelier Pasquier : histoire de mon temps, publiés par M. le duc d’Audiffet-Pasquier, Tome III, Plon, 1894, p.379. 52)Ibid. p.379. 53)« (…) je présentai en même temps à sa signature l’Ordonnance de nomination de M. le duc d’Otrante [Fouché]. Le roi y jeta un coup d’oeil et la laissa tomber sur le pupitre ; la plume lui échappa des mains ; le sang lui monta au visage ; ses yeux devinrent sombres et il retomba tout entier sur lui-même comme accablé par une pensée de mort (…). Ce silence dura quelques minutes, après quoi le Roi me dit, en poussant un soupir profond : « - Il le faut donc ! allons !... » (Jacques-Claude Beugnot, op.cit., p.290). 54)Chateaubriand, tome 2, op.cit., p.387. 55)Jean Tulard, Joseph Fouché, op.cit., p.350. 56)Il le nommera ambassadeur en Saxe, à Dresde et le fait remplacer par Decazes (Ibid., p.359-360). 57)Ibid., p.363.
4. De la legende noire au realisme
4.1. Fouche : la legende noire
Pour le bonapartiste Fleury de Chaboulon, l’intrigue à laquelle s’est odieusement livré Fouché avec les royalistes ne peut qu’être malveillante ; l’affaire du baron de Vitrolles compose à ses yeux une énième traîtrise du machiavélique ministre de la Police. Tout au long de ses
Fleury n’est pas le seul contemporain à brosser un portrait aussi sombre qui participe à la légende noire de Fouché : Pasquier peint notre personnage comme possédant «
Les siècles suivants verront la légende se raffermir : l’historien Jules Michelet décrira Fouché comme «
Parler d’une « légende noire 68)» de Fouché – Fouché que l’on classe souvent parmi « les méchants 69)» - est donc de circonstance. Et Fleury de Chaboulon, en nous détaillant l’affaire du baron de Vitrolles, y contribue largement. Pourtant, devons-nous céder à ce jugement de valeur et considérer la légende noire comme véridique ? C’est-à-dire, dans le cadre de notre article, considérer que Fouché serait un « méchant » qui aurait dupé le « gentil » Empereur Napoléon (vision de Fleury de Chaboulon) ?
4.2. La question du reaslime historique
L’historien, qui se doit d’être objectif, aurait tort de se laisser influencer par le mythe. En réalité, il devrait plutôt entrevoir le ministre de Napoléon comme quelqu’un qui, dans une période troublée, se doit de réfléchir à sa propre survie. Plusieurs arguments nous amènent à avoir cette opinion.
A la décharge de Fouché, signalons d’abord que son cas qui, aux yeux de la postérité, évoque la figure du traître, n’est pas isolé. Fouché n’est pas le seul à avoir rallié temporairement le camp politique adverse. Il a même de grands rivaux en la matière et pas des moindres puisque le plus spectaculaire peut-être, se trouve être Talleyrand, l’homme des coups d’Etat, qui parviendra à garder un poste de premier plan durant la Monarchie de Juillet. Notons que plusieurs maréchaux de Napoléon n’ont pas non plus hésité à changer de camp et à rejoindre le roi Louis XVIII – nous faisons ici référence à Marmont 70), que les Français ont surnommé le «
Et que dire des milliers de nobles qui se sont ralliés à l’Empire napoléonien et ont abandonné Louis XVIII à son exil anglais ? Le baron de Vitrolles, comme nous l’avons écrit, entre dans cette catégorie. Même le grand écrivain « moralisateur » qu’est Chateaubriand s’est vu, pendant un temps, séduit par le «
Par conséquent, Fouché est loin d’être le seul d’avoir trahi son prochain. Le problème avec lui, et que met en relief l’affaire du baron de Vitrolles, est qu’il constitue plutôt un cas exemplaire, voire extrême et caricatural, de ces personnes qui, après avoir traversé tant de régimes politiques, étaient capables de changer de posture politique pour s’adapter ; une de ces figures que les historiens nomment joliment «
A nos yeux, c’est surtout la volonté de survivre dans une période difficile et trouble qui a poussé Fouché à participer à l’affaire du baron de Vitrolles. «
L’adaptation a pour corollaire la lucidité, une qualité que Fouché possède : en effet, dès le début des Cent-Jours, il est parfaitement conscient que les jours du règne de Napoléon sont comptés. «
Parce qu’il sait que Louis XVIII n’est pas assuré de l’emporter, Fouché s’emploie aussi à correspondre avec les rivaux politiques de Napoléon : aussi bien les libéraux (par le biais de relations fidèles, les députés Manuel et Jay) qu’avec le chancelier autrichien Metternich, le général britannique Wellington et le duc d’Orléans, exilé en Angleterre, mais possible candidat au trône de France 77)…Comme il l’a fait en 1813-1814 avec Murat78), Fouché ne compte pas se laisser enfermer par un mauvais choix politique.
Dès lors, Fleury de Chaboulon a-t-il raison de juger Fouché comme « un traître » ? Et lorsque nous étudions l’affaire du baron de Vitrolles, devons-nous céder à la légende noire colportée par notre auteur ? Non, ce serait là une erreur à ne pas commettre. Fouché n’est pas l’être perfide que la plume acide nous décrit ; la plume acide d’un auteur qui, par ailleurs, est trop convaincu par son idéologie pro-napoléonienne. Fouché adopte une autre posture que l’idéologie : à l’inverse de notre auteur Fleury de Chaboulon, le ministre avait bien entrevu la réalité historique des Cent-Jours ; il savait que Napoléon était condamné à l’échec et en intriguant dans l’affaire du baron de Vitrolles, il n’a fait que sauver sa personne. Aussi, lorsqu’ils’en prend à Fouché, Fleury nous donne l’impression de lui reprocher sa lucidité – une lucidité qu’à l’époque, il n’avait pas. Aveuglé par sa fidélité à Napoléon, il distille en réalité dans ses
58)Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, vol II, op.cit., p.2. 59)Ibid., p.22. 60)Ibid. p.22. 61)Ibid. p.22. 62)Ibid., p.141. 63)Etienne-Denis Pasquier, op.cit., p.310. 64)Chateaubriand, op.cit., p.344. 65)Jean Tulard, op.cit., p.14. 66)Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Marpon et Flammarion, VIIIe volume, p.351. 67)Stefan Zweig, Joseph Fouché, Paris, Grasset, 1969, p.9. 68)Emmanuel de Waresquiel, Fouché, Les silences de la pieuvre, op.cit., p.667. 69)Jean Tulard, op.cit., p.13. 70)Patrick Facon, Renée Grimaud, François Pernot, Maréchaux et grands militaires, Editions Atlas, Paris, 2014, p.96-97. 71)Michel Winock, op.cit., p.41. 72)Jean-Paul Bertaud, op.cit., p.161-162. 73)Emmanuel de Waresquiel, op.cit., p.529. 74)Pierre Serna, « Le bal des girouettes » in L’Histoire, n°401, Juillet-Août 2014, p.52-53. 75)Emmanuel de Waresquiel, op.cit., p.529. 76)Jean Tulard, op.cit., p.325. 77)Munro Price, Louis-Philippe, Le prince et le roi, La France entre deux révolutions, Editions de Fallois, Paris, 2007, p.104. 78)Jean Tulard, op.cit., p.284.
La vision de Joseph Fouché et de l’affaire du baron de Vitrolles que nous dépeint Fleury de Chaboulon appartient donc bien à la légende noire du ministre de la Police. Elle n’est guère objective et se révèle grandement partiale.
Dans une première partie, après avoir présenté l’auteur et Fouché, nous avons observé que le contexte des Cent-Jours ne pouvait que faciliter les intrigues – l’affaire du baron de Vitrolles, dans laquelle a trempé Fouché, en est une. Nous avons ensuite décrit cette affaire tout en détaillant ses diverses conséquences. Enfin, nous avons prouvé que la vision de Fleury de Chaboulon se rapportait à la légende noire de Fouché.
Cependant, nous avons tenté de démontrer qu’au regard des turbulences propres aux Cent-Jours, l’objectivité s’imposait. Après plusieurs constats, nous sommes parvenus à la conclusion qu’à travers sa description de l’affaire du baron de Vitrolles, Fleury faisait montre à l’égard de Fouché d’un esprit de rancune. Son écrit, très idéologique, nous apparaît comme partisan ; il ne tient guère compte ni des choix cruciaux que Fouché devait faire ni des réalités historiques profondes que Fouché avait saisies. Parce qu’il oublie volontairement l’habileté, le sens d’adaptation et la lucidité de Fouché, Fleury contribue puissamment, à sa manière, à la « légende dorée » - mais totalement mythique – de Napoléon.